Imaginez-vous marcher dans une ville que vous connaissiez animée et bruyante. Ce matin-là, plus un commerce ouvert, presque plus une voiture, juste le bruit lointain de tirs et l’odeur âcre qui flotte dans l’air. À Uvira, sur les bords du lac Tanganyika, ce cauchemar est devenu réalité en quelques heures seulement.
Uvira sous contrôle du M23 : la chute éclair d’une ville stratégique
Jeudi matin, les combattants du M23 ratissaient méthodiquement les quartiers d’Uvira à la recherche d’éléments hostiles. La veille, ils s’étaient déjà emparés des points névralgiques : la mairie, le siège du gouvernorat du Sud-Kivu et surtout le poste-frontière avec le Burundi. En moins de quarante-huit heures, une cité de plusieurs centaines de milliers d’habitants est passée sous le contrôle total du mouvement rebelle.
Les habitants décrivent une ville fantôme. Seules quelques motos bravent le couvre-feu implicite. Les tirs, d’abord intenses, se font désormais sporadiques, comme pour rappeler qui commande désormais. L’électricité est coupée dans presque tous les quartiers ; seuls ceux qui avaient anticipé en chargeant leurs téléphones gardent un lien ténu avec le monde extérieur.
Des corps ramassés dans les rues
Entre mercredi et jeudi, au moins onze cadavres ont été recueillis dans les rues, selon plusieurs témoins directs. « Hier neuf, aujourd’hui encore deux rien que sur l’avenue qui mène à la cathédrale Saint-Paul », confie un membre de la société civile locale qui préfère rester anonyme pour des raisons évidentes de sécurité.
« On les ramasse là où ils sont tombés. Certains portaient l’uniforme, d’autres non. On ne sait même plus qui est qui. »
Un habitant du quartier central
Ces corps témoignent de la violence des derniers combats, mais aussi des exécutions sommaires qui semblent avoir eu lieu dans la nuit une fois la ville prise. Le M23, comme il l’avait fait à Goma puis à Bukavu, traque les miliciens restés en arrière, ceux qui n’ont pas fui avec le gros des forces gouvernementales.
Une offensive menée avec une précision militaire redoutable
Ce qui frappe les observateurs, c’est la rapidité et la coordination de l’opération. En quelques jours à peine, le M23 a balayé les défenses pourtant renforcées par des milliers de soldats burundais déployés dans le cadre de la force régionale est-africaine.
Sur le terrain, l’armée rwandaise – qui soutient ouvertement le mouvement selon de très nombreuses sources – a déployé un arsenal impressionnant : drones de combat, mortiers à guidage GPS, systèmes lance-roquettes multiples. Face à cela, les forces congolaises et burundaises ont souvent cédé sans combat organisé, préférant la fuite à l’encerclement.
Un général burundais, contacté sous couvert d’anonymat, parle sans détour de « défaites humiliantes ». Des centaines de ses hommes auraient été mis hors de combat en cinq ou six affrontements majeurs.
Le piège se referme sur les troupes burundaises
Sur les 18 000 soldats burundais initialement déployés dans le Sud-Kivu, une large partie a déjà repassé la frontière en direction de Bujumbura. Mais environ 2 500 hommes seraient encore coincés dans les collines qui dominent Uvira et la plaine de la Ruzizi.
Pour eux, la situation est dramatique. Coupés de leurs lignes de ravitaillement, encerclés par des forces mieux équipées et plus mobiles, ils n’ont plus que deux options : se rendre ou tenter une percée risquée vers le Burundi voisin.
Le poste-frontière étant désormais aux mains du M23, chaque mouvement est surveillé. Les témoignages convergent : certains groupes auraient déjà négocié leur reddition contre un couloir de sortie.
Un camouflet diplomatique retentissant
L’offensive a été déclenchée début décembre, quelques jours à peine avant la signature très médiatisée d’un accord de paix entre la RDC et le Rwanda, sous patronage américain. L’encre était à peine sèche que les combats reprenaient de plus belle.
La diplomatie burundaise n’a pas mâché ses mots : elle a qualifié cette avancée du M23 de « gifle » adressée directement aux États-Unis. Derrière la formule, une réalité brutale : les efforts de médiation internationale viennent d’être réduits à néant en l’espace d’une semaine.
« On nous avait promis la paix, on nous livre la guerre. »
Un responsable local sous couvert d’anonymat
Pourquoi Uvira était une cible prioritaire
Au-delà de sa position stratégique sur le lac et à la frontière, Uvira représentait le dernier verrou maintenant un lien militaire entre Kinshasa et Bujumbura. En s’en emparant, le M23 et ses alliés coupent la RDC de son principal soutien régional dans le Sud-Kivu.
La plaine de la Ruzizi, riche et fertile, devient également un enjeu économique majeur. Contrôler cette zone, c’est contrôler des ressources, des routes commerciales et surtout priver le gouvernement central d’une partie de ses recettes douanières.
Enfin, la prise d’Uvira envoie un message clair aux autres capitales de la région : personne n’est à l’abri. Après Goma, après Bukavu, plus aucune grande ville de l’Est ne semble hors de portée du M23.
Et maintenant ?
Dans les rues d’Uvira, la vie tente timidement de reprendre. Quelques habitants risquent un œil dehors, évaluent la situation, rentrent vite. Les combattants du M23, eux, poursuivent leur ratissage quartier par quartier.
Plus au nord, on murmure déjà que la prochaine cible pourrait être bien plus ambitieuse. Mais pour l’instant, la priorité semble être de consolider les acquis et surtout d’effacer toute résistance résiduelle.
Une chose est sûre : l’Est de la RDC vient de basculer un peu plus dans l’inconnu. Et chaque jour qui passe rend la perspective d’une paix durable plus lointaine que jamais.
Uvira en quelques chiffres :
– Population : environ 600 000 habitants
– Position : dernière grande ville congolaise avant la frontière burundaise
– Prise effective : entre le 9 et le 11 décembre 2025
– Postes clés capturés : mairie, gouvernorat, frontière Ruzizi
– Soldats burundais encore sur zone : environ 2 500 (estimation)
La guerre, dans cette partie du monde, a encore de beaux jours devant elle. Et les civils, comme toujours, en paient le prix le plus lourd.









