Au cœur d’une Europe divisée sur la question migratoire, la Commission européenne vient de prendre une décision qui ne manquera pas de faire réagir. Mercredi 11 décembre, elle a estimé que les États membres pouvaient limiter le droit d’asile des migrants « instrumentalisés » par la Russie, apportant ainsi un « soutien clair » à la Pologne, confrontée à ce qu’elle qualifie d' »attaques hybrides » à ses frontières.
La Pologne pointe du doigt Moscou et Minsk
Depuis plusieurs mois, la Pologne accuse la Russie et la Biélorussie d’utiliser les flux migratoires comme une arme pour déstabiliser la région. Varsovie avait d’ailleurs demandé à Bruxelles de pouvoir suspendre partiellement le droit d’asile face à cette situation inédite. Une requête entendue par la Commission européenne, qui estime désormais que les États confrontés à une telle « instrumentalisation » des migrants peuvent exceptionnellement limiter l’exercice de certains « droits fondamentaux ».
« Nous ne laisserons jamais les autocrates utiliser nos valeurs européennes contre nous », a martelé sur Twitter la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, dans un message sans équivoque. Une position ferme qui tranche avec les habituels appels au respect des droits humains et des conventions internationales sur l’asile.
Un soutien financier renforcé aux États frontaliers
Pour accompagner cette décision, Bruxelles a également annoncé le déblocage de 170 millions d’euros supplémentaires pour aider les États membres à renforcer la surveillance de leurs frontières avec la Russie et la Biélorussie. La Pologne, en première ligne, bénéficiera à elle seule de 52 millions d’euros. Un soutien financier conséquent qui vise à aider Varsovie à faire face à ce qu’elle considère comme une véritable « guerre hybride ».
Une décision qui divise
Si cette position de la Commission européenne est saluée par certains États membres, d’autres voix s’élèvent pour mettre en garde contre une dérive des valeurs fondamentales de l’UE. Des ONG de défense des droits humains s’inquiètent d’un dangereux précédent qui pourrait ouvrir la voie à un affaiblissement durable du droit d’asile sur le continent.
« C’est un signal extrêmement préoccupant envoyé par l’UE. Sous couvert de faire face à des ‘attaques hybrides’, on assiste à un recul sans précédent des droits des demandeurs d’asile. »
– Un responsable d’une ONG européenne de défense des migrants
Certains eurodéputés ont également fait part de leurs réserves, craignant que cette décision ne serve de « cheval de Troie » à des États tentés de restreindre durablement l’accueil des réfugiés sur leur sol. « Il ne faudrait pas que l’exception devienne la règle », alerte un parlementaire européen.
L’épineuse question de l’équilibre entre sécurité et valeurs
Au-delà de ce cas précis, c’est toute la question de l’équilibre entre sécurité des frontières et respect des valeurs fondatrices de l’Union européenne qui se pose une nouvelle fois. Comment concilier la légitime préoccupation des États de protéger leur souveraineté et leur stabilité, avec l’impératif moral et légal d’accueillir ceux qui fuient les persécutions ?
Un dilemme complexe, exacerbé par le contexte géopolitique tendu et les accusations de « guerre hybride » lancées par plusieurs capitales européennes à l’encontre de Moscou. Face à cette situation inédite, l’UE semble avoir choisi de donner la priorité à la fermeté et au soutien à ses États membres en première ligne. Quitte à bousculer, au moins temporairement, certains de ses principes fondateurs.
Une décision lourde de sens, qui ne manquera pas de susciter le débat dans les prochains jours. Car au-delà de la crise actuelle aux frontières polonaises, c’est bien la question de la place des droits humains dans la politique migratoire européenne qui se trouve à nouveau sur la table. Un sujet explosif, qui divise profondément les Vingt-Sept et met à l’épreuve la cohésion de l’Union. À l’heure où l’Europe est confrontée à des défis sécuritaires et géopolitiques majeurs, saura-t-elle trouver le subtil point d’équilibre entre la défense de ses intérêts stratégiques et le respect de ses valeurs fondatrices ? L’avenir nous le dira.