Après des mois de tractations et de suspense, la nouvelle Commission Européenne vient enfin de prendre ses fonctions pour un mandat de 5 ans qui s’annonce d’ores et déjà sous haute tension. Dirigé par Ursula von der Leyen, reconduite de justesse à son poste de présidente, ce nouvel exécutif affiche un visage plus à droite et des priorités recentrées sur des sujets sensibles comme la défense, l’immigration ou encore la compétitivité économique. Un virage idéologique qui suscite déjà des crispations au sein d’une Europe plus divisée que jamais.
Un vote serré qui reflète les fractures européennes
C’est donc dans un climat pour le moins électrique que s’est tenue mercredi dernier au Parlement Européen la séance d’investiture de la nouvelle Commission. Au terme d’un vote à suspense, le collège des commissaires présenté par Ursula von der Leyen a finalement été approuvé par 370 députés sur 720, soit la majorité la plus étroite jamais enregistrée pour un exécutif européen. Un résultat en demi-teinte qui témoigne des vives tensions ayant émaillé les dernières semaines entre groupes politiques, sur fond d’accusations de dérive droitière voire d’extrême-droitisation de l’équipe Von der Leyen.
Selon certaines sources au cœur des négociations, même le PPE, le groupe conservateur pourtant historiquement proche de la présidente, se serait montré divisé sur le choix des commissaires et la ligne politique à adopter. Un coup dur pour Ursula von der Leyen qui espérait pouvoir s’appuyer sur ce soutien traditionnel pour faire passer ses réformes phares. Mais au-delà des postures politiciennes, c’est bien la question de la direction que doit prendre l’Europe qui cristallise les débats.
Le pragmatisme économique en étendard
Tournant résolument le dos aux ambitions écologiques de son premier mandat symbolisées par le fameux « pacte vert », la Commission Von der Leyen 2.0 place clairement l’économie et la compétitivité en tête de ses priorités. L’heure n’est plus aux grandes envolées idéalistes mais à un pragmatisme froid censé permettre à l’UE de faire face aux défis d’un monde de plus en plus instable et concurrentiel.
L’Europe ne peut plus se permettre d’être naïve dans un contexte de guerre commerciale et de montée des nationalismes. Nous devons muscler notre jeu.
Un haut responsable européen
Concrètement, cela devrait se traduire par une attention accrue portée aux secteurs stratégiques comme la high-tech, l’intelligence artificielle ou la cybersécurité. Des domaines dans lesquels l’Europe accuse un retard préoccupant face aux géants américains et chinois. Des investissements massifs et une réglementation assouplie seraient à l’étude pour doper l’innovation et permettre l’émergence de champions continentaux.
Mais c’est surtout sur la question ultra-sensible de la défense que le changement de cap s’annonce le plus spectaculaire. Tirant les leçons de la guerre en Ukraine et des menaces russes, Bruxelles semble décidé à franchir un cap dans la militarisation du projet européen. Certains évoquent la création d’une véritable « armée européenne », dotée de moyens propres et d’une chaîne de commandement intégrée. Un virage stratégique majeur mais qui divise profondément les États-membres, notamment sur la question de la relation à l’OTAN.
L’immigration, angle mort du projet européen
Autre dossier brûlant qui pourrait bien empoisonner le quinquennat qui s’ouvre : l’immigration. Face à une pression migratoire qui ne faiblit pas et des opinions publiques de plus en plus hostiles, la Commission semble tentée par un virage sécuritaire assumé. Au menu : renforcement des frontières extérieures, accélération des expulsions, conditionnalité des aides au développement… Des propositions musclées portées par l’aile droite de l’exécutif mais qui horripilent une partie de la gauche et des ONG.
On ne peut pas continuer avec une Europe passoire. Il faut reprendre le contrôle de nos frontières et décider qui entre et qui n’entre pas.
Un commissaire européen
Mais au-delà des indignations morales, c’est surtout l’absence criante de solidarité et de vision commune entre les 27 qui paralyse toute avancée sur ce sujet. Entre des pays comme la Grèce ou l’Italie, en première ligne face aux arrivées, et des États d’Europe centrale fermement opposés à toute forme de « répartition », le chemin vers une politique migratoire européenne digne de ce nom s’annonce semé d’embûches.
La bureaucratie, mal endémique de l’UE
Mais c’est peut-être sur le terrain de la gouvernance interne que la nouvelle Commission aura le plus de pain sur la planche. Régulièrement pointée du doigt pour sa lourdeur administrative et son manque de réactivité, l’institution bruxelloise peine à se réformer et à gagner en agilité. Un constat partagé par Ursula von der Leyen elle-même qui a promis d’en faire une priorité de son second mandat.
- Simplification des procédures
- Réduction du nombre d’actes législatifs
- Meilleure utilisation des outils numériques
- Responsabilisation accrue des directions générales
Autant de chantiers ambitieux censés redonner du souffle et de la légitimité à une machine européenne souvent perçue comme technocratique et déconnectée des citoyens. Mais dans les arcanes du pouvoir communautaire, beaucoup doutent de la capacité réelle de la présidente à s’attaquer aux pesanteurs d’un système qu’elle incarne elle-même depuis des années.
À l’heure où les défis s’accumulent pour une Union fragilisée, la nouvelle Commission Européenne semble donc décidée à imprimer sa marque et à tourner la page des rêves fédéralistes. Mais en cherchant à contenter les pragmatiques et les souverainistes, Ursula von der Leyen prend le risque de se couper un peu plus d’une partie de l’opinion et de ses anciens alliés. Un pari risqué pour une Europe qui n’a jamais semblé aussi vulnérable et divisée.