Dans l’ouest de l’Ukraine, sur une base aérienne militaire, le commandant Andriï et ses hommes s’apprêtent à prendre leur envol. Mais ce n’est pas à bord de rutilants chasseurs flambant neufs qu’ils s’élancent. Leur monture ? De vénérables hélicoptères soviétiques, conçus il y a des lustres, bien avant même la naissance de certains membres d’équipage. Des appareils aux âges canoniques, mais qui restent malgré tout essentiels pour défendre le pays face à l’invasion russe.
Le modèle vedette de cette flotte d’un autre temps n’est autre que le Mil Mi-8, un véritable dinosaure des airs ayant vu le jour dans les bureaux d’études de l’URSS il y a plus d’un demi-siècle. « Ce sont des vieilleries », reconnaît Andriï, qui préfère taire son nom de famille pour des raisons de sécurité. « Mais on doit les aimer quand même parce que, quoi qu’il en soit, nous les avons et il faut voler avec eux », ajoute-t-il, fataliste.
Des hélicos vétérans toujours sur le front
Depuis bientôt trois ans, l’Ukraine fait face à l’agression de son voisin russe. Un combat inégal qui l’oblige à utiliser tous les moyens dont elle dispose pour résister, y compris du matériel dont on pourrait penser qu’il appartient davantage à un musée qu’à un champ de bataille moderne. Loin de pouvoir rivaliser avec les avions de chasse dernier cri comme les F-16 promis par les Occidentaux, les antiques hélicoptères soviétiques rendent pourtant d’inestimables services aux forces ukrainiennes.
« Ils veulent aussi faire leur boulot ! Ils ne veulent pas rester là comme des monuments d’architecture », plaisante Andriï en désignant les hélicos alignés sur le tarmac. Leur polyvalence est en effet un atout précieux en ces temps de guerre. Du transport de troupes et de matériel aux évacuations sanitaires en passant par les missions de combat, l’ancêtre Mi-8 et ses cousins sont de toutes les batailles.
Une flotte vieillissante mais indispensable
La situation est telle que les pilotes ukrainiens s’estiment heureux de voler sur n’importe quel appareil « techniquement utilisable », selon le colonel Ievguen Soloviov. Kyiv a d’ailleurs reçu en renfort au moins deux douzaines d’hélicoptères d’origine russe de la part de ses alliés, portant la mention « quantité, notre flotte s’est agrandie ». Mais le militaire nuance aussitôt : « Si nous parlons de qualité, l’équipement et les hélicoptères fournis ne répondent pas aux conditions d’une utilisation moderne ».
Côté appareils occidentaux, l’Ukraine attend toujours, en dehors de quelques Super Puma livrés par la France à sa garde nationale. La présence de Black Hawk américains, aperçus dans des images du renseignement militaire ukrainien, n’a quant à elle pas été confirmée. Ironie du sort, ces hélicos high-tech sont les descendants spirituels des créations d’un certain Igor Sikorsky, pionnier de l’aéronautique… né à Kiev !
Des missions audacieuses malgré les limites
Avec les moyens du bord, les équipages ukrainiens continuent pourtant à accomplir des prouesses. On se souvient de ces vols à haut risque pour ravitailler et évacuer les soldats retranchés dans l’aciérie Azovstal à Marioupol en 2022, sous un déluge de feu ennemi. Pas moins de six rotations, 14 tonnes de fret et 140 blessés exfiltrés… Un petit miracle opérationnel rendu possible par le savoir-faire des pilotes et la rusticité de leurs montures.
Le jeune Maksym, 22 ans, rêvait de voler depuis qu’il avait goûté aux joies du cockpit, enfant, sur les genoux de son père. Il sait pourtant que les vénérables hélicos ont leurs limites, comme leur vulnérabilité face aux missiles et drones russes qui infestent le ciel ukrainien. « Sans supériorité aérienne, nous donner des hélicoptères, eh bien… », soupire-t-il, fataliste.
Concentration et sang-froid face au danger
Malgré les risques, les équipages font face avec un mélange de courage et de décontraction. « La peur est constante mais il ne faut pas la montrer au reste de l’équipage », explique Andriï. « Alors on fait une blague, on rit, on reste concentré sur l’endroit où on doit aller et sur ce qu’on doit faire », poursuit le commandant, qui n’en est pas à son premier combat.
Ce sang-froid à toute épreuve, Maksym a lui aussi dû en faire preuve récemment, quand il a repéré un drone d’attaque russe volant à la même altitude que son hélicoptère. « J’ai eu peur. Beaucoup de pensées ont défilé dans ma tête. Mais nous l’avons évité, nous avons exécuté notre frappe et nous avons fait demi-tour », se souvient le jeune pilote. Un réflexe salvateur qu’il doit à sa formation… mais aussi à son appareil, qui une fois de plus a tenu bon.
Combien de temps encore ces vaillants hélicoptères d’un autre âge pourront-ils tenir leur rang ? Nul ne le sait. Mais une chose est sûre : malgré leurs rides et leurs faiblesses, ils restent pour l’heure parmi les meilleurs atouts de l’Ukraine pour reprendre son ciel et ses terres à l’envahisseur russe. Des vétérans toujours debout, à l’image de ce pays qui refuse obstinément de céder.