InternationalPolitique

L’UE Verrouille les Avoirs Russes Gelés pour Sauver l’Ukraine

L’UE vient de neutraliser la menace hongroise et de rendre quasi-permanent le gel des 235 milliards d’euros russes. Un prêt de 90 milliards pour Kiev devient possible… mais un seul pays menace encore de tout bloquer. Lequel ? La réponse va vous surprendre.

Imaginez 235 milliards d’euros qui dorment depuis trois ans dans des coffres européens, appartenant à la Banque centrale russe, et que personne n’osait vraiment toucher. Hier, l’Union européenne a franché un pas décisif : elle vient de transformer ce gel temporaire en immobilisation quasi définitive, tant que l’agression contre l’Ukraine durera. Un coup de maître diplomatique qui change radicalement la donne financière de la guerre.

Un verrou hongrois enfin sauté

Tout le monde le savait : tous les six mois, les sanctions européennes expiraient et devaient être reconduites à l’unanimité. Chaque fois, la Hongrie de Viktor Orban brandissait la menace du veto. Un seul « non » de Budapest, et les 235 milliards auraient pu être rendus immédiatement à Moscou. L’épée de Damoclès planait depuis 2022.

Jeudi, les ambassadeurs des Vingt-Sept ont trouvé la parade. En s’appuyant sur l’article 122 du traité – celui-là même qui avait permis les achats groupés de vaccins Covid –, ils ont adopté une mesure d’urgence qui pérennise le gel des avoirs jusqu’à la fin de l’agression russe. Plus besoin de vote tous les semestres. Le piège hongrois est désamorcé.

« Une large majorité » s’est dégagée, précise la présidence danoise. Traduction : la Hongrie a probablement été mise en minorité ou a préféré ne pas aller au clash frontal. Le résultat est le même : Moscou ne récupérera pas ses milliards de sitôt.

Où dorment exactement ces montagnes d’argent ?

Sur les 235 milliards d’euros gelés en Europe, environ 210 milliards se trouvent en Belgique, principalement chez Euroclear, le dépositaire central qui gère les titres russes. Le reste est dispersé dans d’autres pays, mais c’est bien Bruxelles qui porte l’essentiel du poids – et du risque juridique.

Cette concentration explique pourquoi la Belgique freine des quatre fers depuis des mois. Si demain la Russie gagnait un procès devant une cour internationale, c’est Euroclear, donc la Belgique, qui serait en première ligne pour payer les dommages et intérêts. Un cauchemar juridique et financier.

« Sans garanties très solides des autres États membres, je vais tout faire pour bloquer cette décision »

Bart De Wever, Premier ministre belge – début décembre

Le plan : transformer les intérêts en prêt géant

Le projet est connu depuis l’été 2024 : utiliser les intérêts extraordinaires générés par ces avoirs gelés (environ 3 à 5 milliards d’euros par an) pour garantir un prêt d’au moins 90 milliards d’euros à l’Ukraine. Les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni sont déjà sur la même longueur d’onde dans le cadre du G7.

Maintenant que le gel est quasi permanent, plus personne ne peut sérieusement arguer que l’on « vole » la Russie : les capitaux restent intacts, seuls les profits exceptionnels liés aux sanctions sont réorientés. Un montage juridique astucieux qui évite l’accusation d’expropriation pure et dure.

Mais pour que le prêt voie le jour, il faut encore l’accord final de… la Belgique. Et là, ça coince toujours.

Bart De Wever, l’homme qui peut encore tout faire capoter

Le nouveau Premier ministre belge, issu de la droite nationaliste flamande, a été très clair : sans partage du risque juridique entre tous les Vingt-Sept, il opposera son veto. Or la décision finale sur l’utilisation des profits doit, elle, rester à l’unanimité.

Autrement dit : la Hongrie est neutralisée sur le gel des avoirs, mais la Belgique a pris le relais comme obstacle potentiel sur la phase suivante. Le sommet européen de la semaine prochaine s’annonce électrique.

Les autres pays cherchent des formules de garantie : fonds commun, clause de solidarité, engagement écrit. Rien n’est encore acté. Bart De Wever joue son va-tout : il sait que sans la Belgique, le mécanisme s’effondre, puisque c’est chez lui que dorment 90 % des fonds.

Pourquoi cette décision change profondément la guerre financière

Jusqu’à présent, l’Europe aidait l’Ukraine principalement avec son propre argent : budget commun, contributions nationales, émissions obligataires. Désormais, elle fait payer une partie de l’addition à la Russie elle-même, via ses propres actifs. Un renversement symbolique et pratique considérable.

Ce n’est pas encore la confiscation totale des 235 milliards – trop risqué juridiquement –, mais c’est une étape intermédiaire qui pourrait ouvrir la voie à des mesures plus radicales si la guerre dure encore des années.

Et surtout, cela envoie un message clair à Moscou : plus l’agression dure, plus le coût financier devient insupportable, même pour les réserves de la Banque centrale.

Les précédents historiques de l’article 122

L’article 122 n’avait jamais été utilisé dans un contexte géopolitique d’une telle ampleur. Son activation pendant la pandémie avait déjà surpris : il permet de contourner l’unanimité classique quand « des difficultés graves » menacent l’économie ou l’approvisionnement.

En déclarant que la stabilité financière européenne serait menacée par un dégel brutal des avoirs russes, les Vingt-Sept justifient légalement le recours à cette procédure d’exception. Un précédent qui pourrait resservir dans d’autres crises.

Et maintenant ? Le calendrier sous tension

La décision des ambassadeurs doit être formellement adoptée par procédure écrite ce vendredi. Ensuite, tout repose sur le sommet des chefs d’État et de gouvernement de la semaine prochaine.

Si la Belgique obtient satisfaction sur les garanties, le prêt de 90 milliards pourrait être débloqué dès début 2026. Sinon, tout le montage risque de retomber comme un soufflé.

En coulisses, les négociations vont bon train. La Commission européenne, l’Allemagne et la France poussent très fort. Elles savent que chaque mois de retard coûte cher à Kiev sur le terrain.

L’Europe vient de prouver qu’elle pouvait contourner ses propres blocages internes quand la situation l’exige. Reste à savoir si elle saura aussi partager les risques quand c’est nécessaire. La réponse, dans les prochains jours, sera lourde de conséquences pour l’issue du conflit.

Une chose est sûre : les 235 milliards d’euros russes ne rentreront pas à Moscou avant très longtemps. Et une partie de leurs fruits pourrait bien financer la reconstruction – ou la victoire – de l’Ukraine. Rarement une décision technique bruxelloise aura eu une portée aussi stratégique.

Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.