Un an après les manifestations nourries d’agriculteurs de Paris à Varsovie, l’Union européenne s’apprête à dévoiler mercredi sa nouvelle « vision » pour le monde agricole. Dans un contexte explosif, entre guerre commerciale et pressions de toutes parts, la Commission européenne marche sur des œufs pour tenter d’apaiser les tensions.
Le document d’une vingtaine de pages, consulté par une source proche du dossier, contient peu de propositions concrètes. Il s’agit avant tout pour l’exécutif européen de poser les bases d’une stratégie à long terme, en évitant soigneusement de jeter de l’huile sur le feu.
Des mesures prudentes pour un contexte « ultra sensible »
« La première mission de cette vision est de faire baisser les tensions et d’apaiser les acteurs », souligne un expert du cercle de réflexion Farm Europe. Il décrit un contexte « ultra sensible » où « tout le monde est à fleur de peau ». La prudence est donc de mise pour la Commission, qui veut avancer à tâtons sans se lier les mains.
Vers une réciprocité des normes environnementales ?
Parmi les rares propositions détaillées figure l’engagement d’explorer à nouveau la question épineuse de la réciprocité des normes. L’objectif : s’assurer que les produits agricoles importés respectent les mêmes exigences environnementales que ceux produits au sein de l’UE.
Le commissaire européen à l’Agriculture, Christophe Hansen, cite notamment le cas des pesticides. Il promet de veiller à ce que les produits les plus dangereux, interdits en Europe pour des raisons sanitaires et environnementales, « ne soient pas réintroduits par le biais de produits importés ». Une mesure chère à la France, fer de lance de ce combat depuis plus de trois ans.
Lutter contre la « concurrence déloyale » des pays tiers
La Commission entend également développer une panoplie d’outils pour lutter contre la « concurrence déloyale de pays tiers ». Un dossier particulièrement sensible deux mois après la conclusion controversée de l’accord de libre-échange avec les pays du Mercosur, vivement contesté par les agriculteurs européens.
Face aux menaces répétées de taxes douanières américaines et chinoises, l’Europe cherche à protéger son agriculture. Mais les leviers d’action restent à définir, dans un contexte géopolitique explosif où les guerres commerciales font rage.
Simplifier les « exigences réglementaires complexes »
Autre mot d’ordre martelé par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen : simplifier les contraintes qui pèsent sur les agriculteurs. Le document appelle ainsi à les libérer d’« exigences réglementaires complexes », sans pour autant préciser lesquelles ni comment.
Là encore, la prudence est de mise. Car derrière la volonté affichée d’alléger le « fardeau administratif », se cache la crainte d’un démantèlement des normes durement acquises, qu’elles soient environnementales, sanitaires ou en matière de bien-être animal.
Vers une PAC plus équitable mais encore floue
Le projet de réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) vise quant à lui à mieux répartir les aides pour les agriculteurs « qui en ont le plus besoin ». Une intention louable, mais qui reste pour l’heure plus un vœu pieux qu’une feuille de route détaillée.
Les modalités concrètes d’une telle redistribution des aides restent en effet à définir, au sein d’une PAC dont le budget fait déjà l’objet d’intenses tractations entre États membres.
Un accueil mitigé des milieux agricoles et écologistes
Selon une source proche des milieux agricoles, la réaction du secteur devrait osciller entre prudence et attentisme : « Dans le monde agricole, ça sera « ok très bien il y a des déclarations d’intention, mais maintenant on attend du concret » ». Une prudence justifiée dans un secteur en perte de vitesse rapide, en quête de soutiens forts.
Les écologistes saluent certaines avancées, comme la volonté affichée d’interdire les pesticides les plus toxiques ou de renforcer l’équité dans le commerce international. Mais ils pointent aussitôt les incohérences, demandant comment ces engagements sont compatibles avec le soutien à l’accord du Mercosur par exemple.
Des enjeux brûlants qui appellent des décisions fortes
Car au-delà des déclarations d’intention, c’est bien d’actions concrètes et courageuses dont l’agriculture européenne a besoin. Entre crises structurelles, tensions géopolitiques et défis environnementaux, le secteur est à la croisée des chemins.
L’enjeu est de taille pour le commissaire Christophe Hansen et son équipe : réussir le délicat exercice d’équilibriste entre des intérêts souvent contradictoires. Apporter des réponses fortes aux agriculteurs en colère, sans renier les engagements environnementaux de l’Europe. Soutenir le revenu des agriculteurs, sans encourager une course à la productivité destructrice. Favoriser une concurrence internationale loyale, sans verser dans le protectionnisme.
Autant de défis qui nécessiteront bien plus que des demi-mesures et des déclarations prudentes. La « vision » stratégique présentée mercredi par la Commission n’est qu’une première étape. Les actes devront rapidement suivre les paroles pour redonner un avenir durable à l’agriculture européenne, et apaiser une profession en souffrance.