Imaginez une seconde que l’on vous interdise, du jour au lendemain, de vous rendre sur votre lieu de travail. Pas parce que vous avez mal fait votre boulot. Pas parce que l’entreprise ferme. Simplement parce que vous êtes une femme. C’est exactement ce que vivent, depuis trois mois, des centaines d’Afghanes employées par l’ONU en Afghanistan.
L’ONU brise le silence et passe à l’offensive
Dimanche, la voix de l’Organisation des Nations unies s’est élevée avec une fermeté rare. Susan Ferguson, représentante d’ONU Femmes en Afghanistan, a publiquement exigé la levée immédiate de l’interdiction qui frappe ses collègues afghanes. Une interdiction imposée sans préavis par les autorités talibanes et qui paralyse peu à peu l’aide humanitaire dans le pays.
Le message est clair : sans ces femmes, l’ONU ne peut plus atteindre celles qui en ont le plus besoin.
Trois mois déjà que les bureaux leur sont fermés
Tout a commencé il y a trois mois. Un matin comme un autre, des centaines d’employées afghanes se sont vues refuser l’accès aux locaux des Nations unies. Motif ? Une décision unilatérale des talibans, qui appliquent leur interprétation ultra-rigoriste de la charia.
Depuis, ces femmes continuent leur mission… depuis chez elles. À distance. Par téléphone, par messages, parfois au péril de leur sécurité. Elles ont ainsi pu coordonner l’aide après les séismes dévastateurs d’octobre ou accompagner les centaines de milliers de migrants renvoyés du Pakistan et d’Iran.
Mais tenir à distance a ses limites. Et ces limites sont aujourd’hui atteintes.
« Plus ces restrictions durent, plus elles font peser des risques sur des services d’aide vitaux »
Susan Ferguson, représentante d’ONU Femmes en Afghanistan
Cette phrase résume tout. Chaque jour qui passe sans ces employées sur le terrain est un jour où des femmes et des filles afghanes risquent de ne plus recevoir l’aide dont elles ont désespérément besoin.
Pourquoi les femmes de l’ONU sont-elles irremplaçables ?
Dans un pays où la ségrégation de genre est devenue la norme, une femme ne peut être approchée, interrogée ou aidée que par une autre femme. C’est une règle culturelle profondément ancrée, respectée même par les humanitaires.
L’exemple du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) est parlant. Mi-septembre, l’agence a dû purement et simplement suspendre l’aide pécuniaire dans ses centres. Raison officielle : sans personnel féminin, impossible d’interviewer les 52 % de migrants de retour qui sont des femmes.
Résultat ? Des milliers de familles livrées à elles-mêmes, dans un pays déjà ravagé par la pauvreté et les catastrophes naturelles.
Réalité chiffrée : sur les 3 500 employés afghans de l’ONU dans le pays, plusieurs centaines sont des femmes directement concernées par l’interdiction. Leur absence met en péril des programmes touchant des millions de bénéficiaires.
Un quotidien devenu cauchemar pour des milliers de familles
Derrière les communiqués officiels, il y a des vies. Une infirmière qui ne peut plus vacciner les petites filles dans les villages reculés. Une assistante sociale qui ne peut plus rendre visite aux veuves isolées. Une logisticienne qui ne peut plus organiser la distribution de nourriture dans les zones tenues par les talibans.
Chaque histoire est une goutte qui fait déborder un vase déjà plein. Et ce vase menace de se briser complètement si rien ne change.
Car l’Afghanistan reste l’un des pays les plus dangereux pour les femmes. Interdites de parc, de salon de beauté, d’éducation au-delà de 12 ans, et maintenant privées de nombreux emplois… La liste s’allonge dangereusement depuis le retour des talibans au pouvoir en août 2021.
L’ONU accuse : une violation de sa propre Charte
Le ton est monté d’un cran. Susan Ferguson n’a pas hésité à parler de violation des « principes des droits humains et d’égalité » inscrits dans la Charte des Nations unies elle-même.
Autrement dit : en empêchant ses employées de travailler, les talibans s’attaquent directement aux fondations mêmes de l’organisation internationale censée dialoguer avec eux.
Un paradoxe cruel : l’ONU a besoin des talibans pour accéder à certaines zones. Mais les talibans, en retour, paralysent l’ONU en écartant la moitié de ses effectifs locaux.
« Ce n’est que grâce à ces femmes que l’ONU peut atteindre les femmes et les filles »
Susan Ferguson
Et maintenant ? Une course contre la montre
Au moment où ces lignes sont écrites, les autorités talibanes n’ont pas répondu à aucune sollicitation. Le silence est assourdissant.
Pendant ce temps, l’hiver approche. Les températures plongent. Les stocks de nourriture s’épuisent. Les retours massifs de migrants continuent. Et chaque jour sans personnel féminin sur le terrain est un jour où l’aide ne parvient pas à celles qui en ont le plus besoin.
L’ONU le dit sans détour : la situation n’est plus tenable. Si rien ne bouge rapidement, des programmes entiers risquent de s’effondrer. Et avec eux, l’espoir de millions d’Afghanes qui n’ont déjà plus grand-chose à quoi se raccrocher.
La question n’est plus de savoir si la communauté internationale va réagir. Elle doit réagir. Vite.
Une seule chose est sûre : sans ses employées afghanes, l’ONU est à moitié aveugle, à moitié sourde, à moitié muette dans un pays où les femmes représentent la moitié de la population… et bien plus que la moitié des victimes.
Le compte à rebours est lancé. Et il ne reste plus beaucoup de temps.









