Imaginez une forteresse diplomatique de plusieurs hectares, l’une des plus grandes ambassades du monde, plantée à quelques centaines de mètres seulement du cœur financier de Londres. C’est exactement ce que la Chine souhaite construire sur l’ancien site de la Royal Mint, à Tower Hamlets. Et pourtant, des années après l’achat du terrain, le projet reste bloqué. Mardi, le gouvernement britannique a annoncé un énième report de sa décision, repoussant l’échéance à janvier 2026 au plus tard.
Un énième report qui en dit long sur les tensions actuelles
La nouvelle est tombée par une simple lettre du ministère du Logement et des Communautés. Initialement attendue avant le 10 décembre 2025, la décision définitive est désormais reportée jusqu’au 20 janvier 2026. Ce n’est pas la première fois que Londres gagne du temps sur ce dossier ultra-sensible.
Ce report intervient moins de vingt-quatre heures après un discours majeur du Premier ministre Keir Starmer. Ce dernier a réaffirmé vouloir « coopérer et commercer » avec Pékin tout en « se protégeant » face à une menace jugée réelle pour la sécurité nationale britannique. Le timing n’a rien d’anodin.
Un terrain chargé d’histoire et de symboles
En 2018, la Chine a déboursé 255 millions de livres sterling – environ 316 millions d’euros à l’époque – pour acquérir l’immense site de la Royal Mint à Tower Hamlets. Pendant près de deux siècles, c’est ici qu’étaient frappées les pièces de monnaie du Royaume-Uni. Le lieu est donc profondément ancré dans l’histoire britannique.
Le projet chinois prévoit la construction d’un complexe gigantesque : bureaux, résidences diplomatiques, centre culturel… De quoi faire de cette ambassade la deuxième plus grande représentation chinoise au monde après celle de Bucarest. Sa proximité avec la City, le quartier financier de Londres, inquiète au plus haut point les services de renseignement.
« Un tel bâtiment, à cet endroit précis, représenterait une menace directe pour la sécurité économique du Royaume-Uni »
Un parlementaire membre de l’Alliance interparlementaire sur la Chine
Des riverains vent debout depuis le premier jour
Les habitants de Tower Hamlets n’ont jamais accepté l’idée de voir s’installer une telle structure dans leur quartier. Manifestations, pétitions, recours juridiques : tout a été tenté pour bloquer le projet. Les arguments sont multiples :
- Trafic routier ingérable dans une zone déjà saturée
- Impact sur le patrimoine historique environnant
- Nuissances sonores et visuelles pendant des années de chantier
- Crainte d’une surveillance massive des résidents
Mais le principal grief reste la peur de l’espionnage. À moins d’un kilomètre de la City, une ambassade de cette taille pourrait, selon les opposants, devenir une plateforme idéale pour des activités d’intelligence économique ciblant les grandes banques et institutions financières britanniques.
La délicate équation diplomatique de Keir Starmer
Depuis son arrivée au pouvoir en juillet 2024, le gouvernement travailliste marche sur des œufs avec la Chine. D’un côté, Londres ne veut pas rompre totalement les liens économiques : la Chine reste un partenaire commercial majeur. De l’autre, les alertes des services de sécurité se multiplient.
Le discours de Keir Starmer prononcé lundi illustre parfaitement cette ambivalence. Le Premier ministre a parlé d’une relation devant combiner trois piliers :
- Coopérer sur les grands défis mondiaux (climat, santé)
- Maintenir des échanges commerciaux
- Se protéger fermement contre les menaces à la sécurité nationale
Le dossier de l’ambassade incarne à lui seul cette tension. Refuser purement et simplement le projet risquerait de déclencher une crise diplomatique majeure avec Pékin. L’accepter sans conditions serait perçu comme une faiblesse par une partie de l’opinion publique et des parlementaires.
Pékin hausse le ton et parle d’accusations « sans fondement »
De son côté, le gouvernement chinois n’a pas tardé à réagir. Les autorités ont dénoncé des « accusations dénuées de tout fondement » et accusé Londres de céder à une logique de « nouvelle guerre froide ». Pour Pékin, ce projet n’a rien d’exceptionnel : de nombreux pays accueillent de grandes ambassades chinoises sans poser de problème.
La Chine rappelle régulièrement que le Royaume-Uni a lui-même une ambassade imposante à Pékin et que la réciprocité diplomatique devrait s’appliquer. Un argument qui peine à convaincre dans un contexte où les révélations sur les activités d’espionnage chinois se multiplient en Europe et ailleurs.
Un précédent qui pèse lourd : l’affaire Huawei
Ce n’est pas la première fois que Londres et Pékin s’opposent sur des questions de sécurité nationale. Le dossier Huawei et la 5G avait déjà provoqué une crise majeure sous le gouvernement Johnson. Après avoir initialement autorisé l’équipementier chinois à participer au réseau britannique, Londres avait finalement fait marche arrière sous pression américaine et britannique.
Le cas de la super-ambassade pourrait suivre une trajectoire similaire : des mois, voire des années de reports, avant une décision finale qui satisfera difficilement les deux parties. Le précédent Huawei a laissé des traces : la Chine avait alors menacé de représailles économiques.
Que peut-il se passer d’ici janvier 2026 ?
Plusieurs scénarios sont envisageables :
- Un refus pur et simple, au risque d’une crise diplomatique
- Une autorisation assortie de conditions draconiennes (taille réduite, restrictions de surveillance)
- Un nouveau report, cette fois sous un prétexte technique
- Une solution de compromis : déplacement du projet sur un autre site
Le gouvernement britannique semble privilégier pour l’instant la politique du temps long. En repoussant la décision après les fêtes et en début d’année 2026, il s’offre plusieurs semaines supplémentaires pour consulter les services de renseignement, sonder les parlementaires et préparer l’opinion publique à la décision finale.
Ce dossier illustre parfaitement la complexité des relations sino-britanniques en 2025 : entre nécessité économique et impératifs de sécurité, Londres tente de tracer une troisième voie. Reste à savoir si cette stratégie de l’équilibre tiendra face à une Chine qui n’a pas l’habitude d’attendre.
Au-delà du cas britannique, ce bras de fer diplomatique résonne dans toute l’Europe. Plusieurs capitales suivent le dossier de très près : la décision finale de Londres pourrait créer un précédent pour d’autres projets chinois sur le vieux continent. Affaire à suivre donc, avec une attention particulière en janvier prochain.









