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Logement social : Vers plus de pouvoir aux maires, au risque de dérives ?

Le gouvernement compte octroyer davantage de pouvoir décisionnel aux maires pour attribuer les HLM. Un retour aux dérives d'antan ? Favoritisme, clientélisme et discrimination à craindre ? Risque de rupture d'égalité dans l'accès au logement... Décryptage.

Un vent de changement souffle sur l’attribution des logements sociaux en France. Le gouvernement envisage en effet de redonner un pouvoir quasi-discrétionnaire aux maires dans ce domaine. Une perspective qui inquiète de nombreux acteurs, craignant un retour à des pratiques douteuses et inégalitaires d’un autre temps.

Vers un pouvoir accru des maires dans l’attribution des HLM

Selon des sources proches du dossier, le ministre du Logement Michel Barnier souhaiterait faire passer un projet de loi visant à redonner la main aux édiles locaux dans l’attribution des habitations à loyer modéré (HLM). Concrètement, les commissions d’attribution, au sein desquelles siègent actuellement de multiples acteurs (représentants des locataires, Action Logement, préfecture…), pourraient disparaître au profit d’un pouvoir quasi-exclusif du maire.

L’objectif affiché serait de fluidifier les processus et de coller au plus près des réalités locales. Mais dans les faits, nombre d’observateurs redoutent que cette mesure n’ouvre la porte à un retour des dérives passées en matière d’attribution de logements sociaux.

Des risques de favoritisme et de clientélisme

Avant les réformes des années 80-90, l’attribution des HLM relevait en effet souvent de l’arbitraire, chaque maire appliquant ses propres critères, pas toujours objectifs. Piston, copinage, clientélisme électoral étaient monnaie courante. Les dossiers étaient triés sur le volet, sans grande transparence.

On nous demandait parfois notre carte d’électeur pour obtenir un logement. Ou alors le nom de la personne qui nous avait pistonné à la mairie.

– Un ancien demandeur de logement social

Cette réforme pourrait donc sonner comme un retour en arrière préoccupant aux oreilles de ceux qui ont connu cette époque. Les associations de défense des locataires et de lutte contre les discriminations sont sur le qui-vive.

Des critères d’attribution potentiellement discriminatoires

Outre le favoritisme, c’est aussi le risque de voir resurgir des critères d’attribution discriminatoires qui inquiète. Origines, religion, composition familiale… Autant de caractéristiques qui pourraient à nouveau compter plus que les revenus et les conditions de logement pour départager les candidats.

Selon une étude récente, les discriminations persistent déjà dans l’accès au logement social, malgré un cadre légal strict. Qu’en sera-t-il si on relâche les garde-fous ?

  • 38% des ménages immigrés vivent en HLM contre 17% des ménages non-immigrés
  • Les immigrés ont 1,7 fois moins de chances d’obtenir un logement social à caractéristiques égales

Vers une rupture d’égalité dans l’accès au logement ?

Plus largement, c’est le principe d’égalité d’accès au logement qui semble menacé. Donner tout pouvoir aux maires, c’est prendre le risque que chacun fixe ses propres règles, créant ainsi de fortes disparités d’une ville à l’autre. Avec à la clé un traitement inégal des demandeurs selon leur lieu de résidence.

Commune Délai d’obtention moyen d’un HLM
Paris 6 ans et 8 mois
Rennes 12 mois

Des écarts qui pourraient encore se creuser si chaque maire devient seul maître à bord. Au final, cette réforme interroge sur notre modèle de politique du logement. Faut-il revenir à une gestion localisée au risque de générer des inégalités ? Ou maintenir un système certes imparfait mais garant d’un socle commun de critères sur tout le territoire ?

Quelle transparence dans l’attribution des HLM ?

Le manque de transparence est un autre écueil pointé du doigt par les opposants au projet. Si le processus d’attribution repose sur le seul maire, quid des possibilités de contrôle et de recours pour les citoyens ? La porte semble grande ouverte aux décisions arbitraires, sans réel contre-pouvoir.

Donner les clés des HLM aux maires sans garde-fou, c’est créer une boîte noire, impossibilité de vérifier que les attributions sont justes et équitables.

– Un responsable associatif

Pour éviter cela, la mise en place de commissions pluralistes était un progrès. Revenir à un système opaque serait un recul démocratique pour beaucoup. Sauf à imaginer de nouveaux outils permettant aux citoyens de demander des comptes sur la politique d’attribution de leur maire.

Vers un débat de société sur l’attribution des HLM

Au delà des inquiétudes, le projet de loi Barnier a le mérite de relancer le débat autour des modalités d’attribution des logements sociaux. Un sujet ô combien sensible dans un contexte de crise du logement, avec 2,1 millions de demandeurs de HLM pour seulement 450 000 attributions par an.

Certains plaident pour un assouplissement des règles, au nom de l’efficacité et de la souplesse. D’autres défendent le maintien d’un système très encadré, garant de l’égalité de traitement. Deux visions qui s’affrontent et reflètent plus largement nos priorités en matière de politique sociale du logement.

Une chose est sûre, la question de qui attribue les HLM est indissociable de celle des critères retenus pour le faire. Revenus, composition familiale, ancienneté de la demande, lien avec la commune… Autant de critères qui devront être réinterrogés et mis en débat, en toute transparence.

Loin des approches dogmatiques, c’est un vrai débat de société qui doit s’ouvrir sur l’accès de tous à un logement décent. Un débat auquel devront être associés tous les acteurs : élus locaux bien sûr mais aussi associations, bailleurs sociaux, citoyens… Car derrière la technicité des processus d’attribution se joue un enjeu de justice sociale majeur pour notre pays.

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