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L’offensive M23 sur Uvira Change la Donne en RDC

Le M23 vient de prendre Uvira, dernière grande ville qui lui résistait au Sud-Kivu. Le Burundi est contraint de quitter la RDC et Kinshasa vacille. Mais pourquoi maintenant, juste après l’accord de paix signé sous l’égide de Washington ? La réponse risque de vous surprendre…

Imaginez une ville côtière paisible au bord du lac Tanganyika, soudain envahie par des colonnes de combattants bien équipés. Mardi soir, Uvira, dernière place forte échappant encore au M23 dans le Sud-Kivu, est tombée. Cette prise marque un tournant brutal dans le conflit qui déchire l’est de la République démocratique du Congo depuis près de trois ans.

Derrière cette offensive éclair, on retrouve le même schéma : le mouvement rebelle M23, soutenu par plusieurs milliers de soldats rwandais, poursuit sa progression méthodique. Mais cette fois, la cible n’est pas seulement territoriale. Elle est stratégique, politique et régionale.

Uvira tombait au pire moment pour Kinshasa

Le timing est presque provocateur. À peine quelques jours après que Félix Tshisekedi et Paul Kagame ont paraphé à Washington, sous les applaudissements de la diplomatie américaine, un accord qualifié de « miracle » pour la paix, les combats ont repris de plus belle. Et pas n’importe où : à Uvira, porte d’entrée sud du Kivu et verrou stratégique entre la RDC et le Burundi.

La ville contrôlait la plaine de la Ruzizi, couloir vital pour les renforts burundais qui combattaient aux côtés des forces congolaises. En s’en emparant, le M23 coupe la route terrestre entre Bujumbura et le front. Le message est limpide : le Burundi n’a plus sa place dans cette guerre.

Pourquoi viser précisément le Burundi ?

Depuis 2023, près de 18 000 soldats burundais étaient déployés dans le Sud-Kivu. Leur présence gênait considérablement la progression du M23 dans les hauts plateaux et la plaine de la Ruzizi. Plusieurs experts estiment que chasser le Burundi du théâtre congolais était l’objectif numéro un de cette offensive.

En contrôlant Uvira et la frontière, le M23 ferme la porte à tout renfort terrestre venu du sud. Mais ce n’est pas tout. La prise de la ville ouvre également une voie vers les provinces méridionales, notamment le Haut-Katanga et ses immenses réserves minières de cuivre et de cobalt. Un enjeu économique colossal.

« La volonté de pousser le Burundi à se désengager est, à mon avis, l’un des principaux objectifs »

Bram Verelst, expert Grands Lacs à l’Institut d’études de sécurité (ISS)

Cette stratégie n’est pas nouvelle. Pendant des mois, les forces du M23 et leurs soutiens ont grignoté les plateaux dominant Uvira pour prendre à revers les positions congolo-burundaises. L’assaut final, lancé début décembre, n’a été que l’aboutissement d’un plan mûri de longue date.

Kinshasa isolé comme jamais

Pour Félix Tshisekedi, la perte d’Uvira arrive au pire moment de son second mandat. Il avait fait de la lutte contre le M23 – qu’il présente comme une agression rwandaise déguisée – le combat prioritaire. Début 2025, Goma puis Bukavu étaient déjà tombées en quelques semaines. Aujourd’hui, c’est tout le Sud-Kivu qui bascule.

Sans l’appui burundais, l’armée congolaise se retrouve terriblement seule. Mal équipée, mal payée, souvent divisée, elle paraît incapable d’endiguer la progression d’un mouvement rebelle particulièrement bien organisé et soutenu.

Le régime de Kinshasa subit un nouveau coup dur, alors que la pression monte pour arracher de nouvelles concessions lors des prochains rounds de négociations. Mais après tant de revers militaires, accepter des compromis risque de passer très mal auprès de l’opinion congolaise.

« C’est un coup dur de plus. Kinshasa risque de voir la pression s’accroître pour faire de nouvelles concessions, mais celles-ci seront d’autant plus difficiles à faire accepter politiquement »

Pierre Boisselet, chercheur à l’institut Ebuteli

Un risque d’embrasement entre Rwanda et Burundi

Les relations entre Kigali et Bujumbura étaient déjà exécrables avant cette offensive. Les deux pays partagent une histoire lourde, marquée par les séquelles du génocide rwandais de 1994 et des tensions communautaires persistantes.

Récemment, lors de combats près de la frontière, chacun a accusé l’autre d’avoir bombardé son territoire. L’atmosphère est électrique. Mercredi, le ministre burundais des Affaires étrangères a déclaré que son pays était « prêt à user de tous les moyens pour protéger ses frontières ».

Pour l’instant, une confrontation directe semble peu probable à très court terme. Mais à moyen et long terme, la perte d’Uvira pose de sérieux problèmes à Bujumbura, tant sur le plan sécuritaire qu’économique. Le Burundi dépend fortement de l’accès au marché congolais pour son commerce et son approvisionnement.

Washington face à une humiliation diplomatique

L’accord signé début décembre à Washington devait être le grand succès diplomatique de la nouvelle administration américaine dans la région des Grands Lacs. Il a été présenté comme une percée historique. Moins d’une semaine plus tard, le M23 lançait son offensive sur Uvira.

Le contraste est saisissant. Et gênant. Plusieurs observateurs parlent déjà d’une « gifle » adressée aux États-Unis. Le ministre burundais n’a pas mâché ses mots : « Signer un accord et ne pas l’appliquer, c’est une humiliation pour tout le monde, en premier lieu pour le président Trump ».

Pour l’instant, Washington et plusieurs capitales européennes se contentent d’exhorter le M23 et le Rwanda à cesser immédiatement leur progression. Mais une réaction plus ferme se fait attendre. Certains experts estiment que les États-Unis doivent maintenant utiliser le levier de l’accord qu’ils ont eux-mêmes parrainé pour exiger un retrait rwandais.

Vers une nouvelle carte du Kivu ?

Avec la chute d’Uvira, le M23 contrôle désormais l’essentiel du Nord-Kivu et une large partie du Sud-Kivu. Les zones encore tenues par Kinshasa se réduisent comme peau de chagrin. La question n’est plus de savoir si le mouvement rebelle peut menacer le pouvoir central, mais quand et comment.

Le groupe armé ne cache plus son ambition : renverser Félix Tshisekedi. Une perspective qui semblait inconcevable il y a deux ans, mais qui prend aujourd’hui une consistance inquiétante.

Dans les couloirs diplomatiques, on commence à évoquer des scénarios de partition de fait à l’est, voire des négociations directes entre le M23 et des représentants régionaux, court-circuitant Kinshasa. Rien n’est acté, mais la dynamique militaire impose sa loi.

Et la population dans tout ça ?

Comme toujours dans ce conflit, ce sont les civils qui paient le prix le plus lourd. Des milliers de personnes fuient Uvira et les villages environnants. Les routes sont encombrées de familles portant ce qu’elles peuvent sauver. Les camps de déplacés, déjà saturés autour de Bukavu et Goma, ne suffisent plus.

Les humanitaires tirent la sonnette d’alarme : l’accès aux zones nouvellement conquises devient presque impossible. Les besoins en nourriture, eau et soins explosent, alors que les financements peinent à suivre.

Dans la plaine de la Ruzizi, les tensions intercommunautaires remontent. Certaines milices locales, autrefois alliées aux forces gouvernementales, pourraient basculer. Le risque de règlements de comptes est réel.

Que peut-il se passer maintenant ?

Plusieurs scénarios se dessinent. Le premier : une nouvelle offensive du M23 vers le nord pour consolider ses gains et menacer directement Bukavu à nouveau. Le second : une poussée vers le sud-ouest, en direction du corridor minier du Katanga.

Le troisième, plus inquiétant : une réaction burundaise disproportionnée qui ferait basculer le conflit à l’échelle régionale. Enfin, le quatrième : une pression diplomatique occidentale enfin efficace qui contraindrait Kigali à freiner son soutien au M23.

Aujourd’hui, aucun de ces scénarios ne domine clairement. Ce qui est certain, c’est que la chute d’Uvira a modifié durablement l’équilibre des forces à l’est du Congo. Et que les prochains mois seront décisifs pour l’avenir du pays tout entier.

La guerre des Grands Lacs entre dans une phase nouvelle, plus incertaine et potentiellement plus destructrice que jamais.

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