Imaginez : trois albums qui ont changé la face du rock, des millions d’exemplaires vendus, des milliards d’écoutes en streaming… et deux des trois musiciens morts presque sans un sou. C’est l’histoire incroyable qui se joue en ce moment même devant la Haute Cour de Londres.
Un procès qui fait trembler l’industrie musicale
Dès le mardi matin, les couloirs de la justice britannique ont résonné d’un riff bien particulier : celui de la bataille juridique opposant les ayants droit de Noel Redding et Mitch Mitchell à la géant Sony Music Entertainment UK. Au centre du débat ? Les droits sur les trois albums mythiques enregistrés par The Jimi Hendrix Experience entre 1966 et 1969.
Le bassiste et le batteur, tous deux britanniques, estiment que leurs héritiers n’ont jamais reçu la moindre rémunération digne de ce nom depuis des décennies, malgré l’exploitation massive de ces enregistrements, notamment à l’ère numérique.
Trois albums, une légende, zéro royalties ?
Revenons aux origines. Entre 1966 et 1969, le trio formé par Jimi Hendrix, Noel Redding et Mitch Mitchell a enregistré trois disques qui ont redéfini la musique :
- Are You Experienced (1967) – souvent considéré comme l’un des meilleurs albums de tous les temps
- Axis: Bold As Love (1967) – exploration psychédélique et technique
- Electric Ladyland (1968) – double album monumental, dernier chapitre du groupe
Le groupe se sépare en 1969. Jimi Hendrix meurt tragiquement en septembre 1970. Noel Redding s’éteint en 2003, Mitch Mitchell en 2008. Selon leurs ayants droit, les deux musiciens britanniques sont morts « dans une relative pauvreté », alors que leurs enregistrements continuent de générer des fortunes.
« Ils n’ont presque rien gagné des enregistrements qui ont défini leurs carrières et leurs vies »
Extrait des arguments écrits déposés à la Haute Cour de Londres
Le cœur du litige : les contrats des années 60 face au streaming
À l’époque du vinyle, les contrats étaient clairs… ou du moins le semblaient-ils. La propriété des enregistrements sonores appartenait aux producteurs, pas aux musiciens. Des documents signés dans les années 1970 autorisaient même l’exploitation « par tous moyens et méthodes connus ou à connaître ».
Mais voilà : personne n’imaginait le streaming en 1967. Ni les CD. Ni les plateformes comme Spotify ou Apple Music. Les héritiers de Redding et Mitchell affirment que l’exploitation numérique constitue un usage nouveau, non couvert par les anciens contrats.
Autre argument massue : la législation britannique a évolué. Depuis les années 1990 et 2000, les droits des interprètes (et pas seulement des auteurs-compositeurs) ont été considérablement renforcés. Les ayants droit estiment que ces nouvelles protections s’appliquent rétroactivement.
Sony contre-attaque : « Tout était prévu »
De son côté, Sony Music ne lâche rien. Le géant du disque affirme que les termes des contrats des années 60 et 70 sont parfaitement clairs : les droits appartiennent aux producteurs, point final. La clause « tous moyens connus ou à connaître » couvre selon eux absolument tout, y compris le streaming.
La défense ajoute que Noel Redding et Mitch Mitchell ont eux-mêmes signé des accords dans les années 1970 confirmant ces conditions. Pour Sony, la question ne se pose même pas.
Une affaire bien plus large que Hendrix
Ce qui se joue à Londres dépasse largement le cas Hendrix. Si la justice donne raison aux héritiers, des milliers de musiciens des années 60 et 70 pourraient réclamer leur part sur les revenus du streaming. Un cauchemar potentiel pour les majors du disque.
À l’inverse, une victoire de Sony conforterait le modèle actuel : les artistes d’hier resteraient largement exclus des richesses générées par leurs œuvres à l’ère numérique.
Enjeu financier colossal
Des centaines de millions d’euros en jeu
si le précédent fait jurisprudence
Un sentiment d’injustice profond
Les avocats des ayants droit ne mâchent pas leurs mots. Ils accusent les producteurs, les administrateurs de l’héritage Hendrix, puis Sony, d’avoir systématiquement marginalisé Redding et Mitchell.
Ils rappellent que les deux hommes ont vécu les dernières années de leur vie dans des conditions modestes, loin des fastes que leur contribution à l’histoire du rock aurait dû leur offrir.
Jimi Hendrix, mort à 27 ans, est devenu une icône planétaire. Sa famille et ses ayants droit ont bâti un empire (Experience Hendrix LLC). Mais ses deux partenaires de scène, ceux sans qui le son Experience n’aurait jamais existé, sont restés dans l’ombre financière.
Que va décider la justice britannique ?
Le procès doit se poursuivre jusqu’au 18 décembre. La décision sera rendue ultérieurement, par écrit. Deux scénarios possibles :
- La cour rejette la demande : les contrats anciens restent valables, Sony conserve l’intégralité des droits
- La cour donne raison aux plaignants : un second procès sera organisé pour évaluer le montant des dommages et intérêts
Dans ce second cas, les sommes pourraient atteindre des montants astronomiques, surtout si l’on tient compte de trente ans de ventes CD et de quinze ans de streaming.
Un précédent qui pourrait tout changer
Cette affaire rappelle d’autres batailles récentes. On pense aux héritiers de certains membres des Beatles, ou à des artistes comme Prince qui se sont battus toute leur vie pour récupérer la maîtrise de leurs enregistrements.
Mais le cas Hendrix est particulier : il oppose directement des musiciens « secondaires » (dans l’ombre du leader charismatique) à une major, sur la question précise de l’application des droits numériques aux contrats préhistoriques.
Quelle que soit l’issue, ce procès marquera un tournant. Il pose la question fondamentale : qui profite vraiment de l’héritage musical du XXe siècle à l’ère du streaming ? Les artistes et leurs familles ? Ou uniquement les grandes entreprises qui ont racheté les catalogues ?
À suivre donc. Très attentivement.









