La place de l’islam en France est un sujet brûlant qui divise profondément notre société. Dans son dernier essai intitulé “Situation de la France”, le philosophe Pierre Manent aborde cette question épineuse et propose une voie originale pour y répondre : négocier un nouveau “contrat social” avec les musulmans.
Un constat sans concession sur l’échec du modèle d’intégration républicain
Pierre Manent part d’un constat sans appel : le modèle d’intégration républicain, fondé sur la laïcité et l’assimilation individuelle, n’a pas fonctionné pour une partie importante des musulmans de France. Malgré plusieurs générations, la “cristallisation communautaire”, selon ses termes, perdure voire s’accentue dans certains territoires.
La France a déjà une partie musulmane. Si cette part continue de croître indéfiniment, il n’y aura de paix pour personne. Pardonnez-moi de le dire ainsi, mais la laïcité n’y fera rien.
Pierre Manent
Pour le philosophe, il est illusoire de penser pouvoir “changer” l’islam par l’autorité ou la séduction. Les fondements théologiques et normatifs de cette religion resteront, quoi qu’on fasse. Il faut donc en prendre acte et “négocier”.
Accommodements raisonnables et réciprocité : les termes du “deal”
Que propose concrètement Pierre Manent ? Un “compromis” entre la République et les musulmans de France. D’un côté, la nation devrait reconnaître et accepter certaines spécificités liées à l’islam dans l’espace public : lieux de culte, prescriptions alimentaires, fêtes religieuses, vêtements, etc. De l’autre, les musulmans devraient adhérer sans réserve aux principes et valeurs cardinaux de la République : égalité hommes-femmes, libertés individuelles, règles démocratiques…
Cette “transaction” devrait se faire sur la base de la réciprocité et être négociée au niveau local, au cas par cas, en fonction des situations. L’enjeu est de trouver un équilibre entre le respect des particularismes et la préservation d’un socle commun suffisant pour “faire nation”. Un exercice d’équilibriste périlleux mais nécessaire selon Pierre Manent.
Redéfinir l’identité nationale pour créer du “commun”
Au-delà de ces accommodements pratiques, le philosophe appelle à réinvestir et redéfinir le concept d’identité nationale. Pour lui, la “préférence nationale” n’est pas un gros mot mais la condition même de l’existence d’une communauté politique. Or, celle-ci s’est progressivement “effacée” au profit des droits individuels et d’une conception “ouverte” de la citoyenneté.
Pour que les Français – les musulmans et les autres – retrouvent un peu de sécurité morale et de tranquillité civique, il faut bien distinguer les nations. Il est urgent de mettre un terme à cette espèce de continuum entre la France et l’Algérie.
Pierre Manent
Sans aller jusqu’à interdire la double nationalité, Pierre Manent juge crucial de réaffirmer la primauté de l’appartenance et de l’allégeance à la nation française. C’est à ce prix que pourra se recréer un sentiment de “communauté de destin” incluant les musulmans.
Un pavé dans la mare qui ne fait pas l’unanimité
Les propositions de Pierre Manent ont suscité de vifs débats. Beaucoup y voient une remise en cause des principes républicains intangibles, notamment de la laïcité et de l’universalisme. Céder sur certaines normes au nom du réalisme communautaire leur semble une pente glissante. D’autres considèrent à l’inverse que seule une “refondation” profonde de notre pacte national incluant la dimension musulmane pourra éviter une fragmentation définitive.
Quoi qu’on pense des réponses avancées, Pierre Manent a le mérite de mettre les pieds dans le plat et de poser crûment les termes du débat. L’intégration de l’islam est sans doute le défi majeur des prochaines décennies pour notre pays. Il exigera de la lucidité, du courage et de la créativité politique pour être relevé.