Imaginez. Nous sommes au milieu du 19ème siècle. Le jeu de billard est à son apogée, pratiqué dans les salons feutrés par l’élite. Mais dans l’ombre, une menace plane : la pénurie d’ivoire, matériau noble dont sont faites les précieuses boules. Un défi lancé aux esprits les plus brillants de l’époque, avec à la clé une incroyable récompense…
La quête d’un nouvel or blanc
L’ivoire, longtemps roi incontesté pour façonner les boules de billard, souffre de deux maux : une cherté exorbitante et une disponibilité limitée. Une défense d’éléphant standard ne fournit de l’ivoire que pour 4 ou 5 boules de qualité, déplore en 1858 Michael Phelan, star du billard de l’époque, dans son ouvrage “The Game of Billiards”.
Cinq ans plus tard, Phelan & Collender, son entreprise, jette un pavé dans la mare : 10 000 dollars, une fortune, promis à l’inventeur qui révolutionnera les boules de billard !
Les premiers pas du plastique
La course est lancée. Alexander Parkes, génie british, avait déjà proposé en 1856 la Parkesine, un dérivé de cellulose. Mais jugée trop chère et vieillissant mal, elle ne convaincra pas.
C’est finalement John Wesley Hyatt, jeune imprimeur inventif, qui emportera la mise. Après un premier essai en 1865 – fibre de bois, gomme-laque et ivoire en poudre – c’est la découverte fortuite du collodion, cette substance d’imprimerie qui se solidifie, qui mettra Hyatt sur la voie. Fin 1869, le Celluloïd est né, mélange de collodion et de camphre, chauffés sous pression.
Les boules de billard en celluloïd sont “difficiles à distinguer des boules en ivoire”, malgré “un prix réduit de moitié”.
New York Times, 1872
Le plastique dans la vie quotidienne
Rapidement, le celluloïd dépassera le seul billard. Dentiers, baleines de corsets, faux-cols, boutons… Cette matière miraculeuse, lavable et infroissable, s’invite dans les foyers. Seul défaut, son inflammabilité, qui le cantonne aujourd’hui aux balles de ping-pong.
En 1907, un autre jalon révolutionnaire est posé : le premier plastique 100% synthétique, sans une once de molécule naturelle. Œuvre de Leo Baekeland, chimiste belge, la bakélite servira pour les objets vintage : cendriers, téléphones, prises…
Depuis ces pionniers, le plastique a largement envahi nos quotidiens, avec les questionnements que l’on sait sur son impact environnemental. Mais n’oublions pas que cette belle aventure démarra par un casse-tête ludique : remplacer l’ivoire des boules de billard. La nécessité, mère de l’invention…