Dans les ruelles animées de Palerme, les glaciers attirent locaux et touristes avec leurs parfums alléchants. Mais derrière les vitrines colorées se cachait jusqu’à récemment une sombre réalité : certains de ces commerces florissants étaient infiltrés par la redoutable mafia sicilienne, Cosa Nostra. Une affaire qui a mis en lumière les techniques d’ingénierie mafieuse pour blanchir l’argent sale.
Quand les parrains tirent les ficelles des glaciers
L’enseigne Brioscià, réputée pour ses glaces artisanales, prospérait à la fin des années 2010 avec ses deux boutiques. Le propriétaire apparent, Mario Mancuso, semblait au-dessus de tout soupçon. Mais dans l’ombre opérait Michele Micalizzi, un boss de Cosa Nostra au lourd passé judiciaire.
Leur arrangement était simple : Mancuso s’occupait des glaces, Micalizzi gérait le reste et offrait sa “protection” contre les tentatives d’extorsion d’autres clans. Mais les choses se sont compliquées quand Mancuso a divorcé de son épouse, officiellement propriétaire de la société…
Une faillite suspecte
Craignant de perdre le contrôle, le duo mafieux a orchestré en 2021 la faillite de Brioscià, prétextant l’impact de la pandémie de Covid-19. Pourtant, l’entreprise était très rentable. Ce dépôt de bilan injustifié, avec un passif de 4 millions d’euros, a attiré l’attention des enquêteurs.
Les écoutes ont révélé que Mancuso et Micalizzi envisageaient de relancer l’affaire et même d’exporter leur savoir-faire à l’étranger. Une nouvelle société a été créée et les boutiques ont rouvert sous l’enseigne Sharbat, comme si de rien n’était.
Une manne pour la “famille”
Les bénéfices servaient à entretenir le train de vie du parrain et de l’entrepreneur, mais aussi à soutenir les proches de Micalizzi incarcérés, en payant leurs frais de cantine et d’avocats. Un système bien rodé qui a perduré jusqu’à l’intervention de la justice en août dernier.
Mancuso, Micalizzi et quatre de leurs acolytes ont été arrêtés, et 1,5 million d’euros ont été saisis.
D’après une source judiciaire
Les deux glaciers ont été placés sous administration judiciaire en attendant le procès des deux principaux suspects, poursuivis pour association mafieuse, extorsion et banqueroute frauduleuse. Une nouvelle illustration de la lourde emprise de la mafia sur l’économie sicilienne.
L’économie, le nerf de la guerre pour les mafias
Au-delà des activités illégales comme le trafic de drogue ou le racket qui restent ses fonds de commerce historiques, le crime organisé investit massivement dans l’économie légale. Selon la Banque d’Italie, le chiffre d’affaires annuel des mafias atteint les 40 milliards d’euros, soit 2% du PIB national.
Le BTP, le commerce, l’immobilier et l’industrie manufacturière sont les secteurs les plus infiltrés, avec des spécificités régionales. En Sicile, le tissu de petites entreprises familiales est une cible de choix pour le blanchiment d’argent sale.
Une entreprise sur deux contrôlée par la mafia est une entreprise dite “star”, qui génère de confortables revenus et emploie du personnel.
Antonio Parbonetti, économiste
Ces sociétés bénéficient d’un large consensus social, économique et politique, rendant leur démantèlement d’autant plus ardu pour les autorités. Dans le cas des glaciers Brioscià et Sharbat, la mafia a même pu opérer sans les autorisations nécessaires, laissant planer le doute sur d’éventuelles collusions.
Sur les traces de Giovanni Falcone
Ironie de l’histoire, les glaciers incriminés se trouvent à quelques pas de l’ancien domicile du juge anti-mafia Giovanni Falcone, assassiné par Cosa Nostra en 1992. Un drame qui a marqué un tournant dans la lutte contre le crime organisé en Italie.
Comme le célèbre magistrat, les enquêteurs d’aujourd’hui ont une devise : “Follow the money” (Suivez l’argent). Car plus que les crimes de sang, c’est souvent la piste financière qui permet de remonter les réseaux mafieux et de les mettre hors d’état de nuire. Un travail de fourmi crucial pour assainir l’économie transalpine.