Le textile, fleuron de l’industrie française, traverse une période de turbulences sans précédent. Alors que l’Hexagone fait figure de modèle en matière de recyclage des vêtements usagés, son leadership est aujourd’hui menacé par la concurrence asiatique. Fermetures de bornes de collecte, chute des exportations de fripes… Les symptômes d’un marché en pleine mutation se multiplient. Décryptage d’une filière en quête de nouveaux repères.
La France, championne européenne du recyclage textile
Avec plus de 47 000 points de collecte sur son territoire, la France se distingue par ses performances en matière de valorisation des déchets textiles. Chaque année, ce sont quelque 270 000 tonnes de vêtements, linge de maison et chaussures qui sont ainsi récupérées, dont 60% sont revendues en friperie, majoritairement à l’export. Un modèle vertueux, qui permet de donner une seconde vie à nos vieux vêtements tout en soutenant l’économie sociale et solidaire.
Le choc asiatique
Mais depuis l’été dernier, ce système bien rodé est mis à rude épreuve. En cause : un revirement brutal du marché mondial de la fripe, les acheteurs africains délaissant les balles de vêtements européens au profit de produits neufs ou d’occasion en provenance d’Asie. Un choc pour les opérateurs français, qui tiraient jusqu’à présent l’essentiel de leurs revenus de ces exports.
Les acheteurs africains se détournent pour aller acheter des fripes voire du neuf en Chine. Cela leur coûte beaucoup moins cher que la seconde main européenne.
Sandra Baldini, Refashion
L’urgence de réinventer le modèle
Face à ce bouleversement, c’est tout un pan de l’économie circulaire française qui vacille. Conséquence immédiate : la fermeture de nombreuses bornes de collecte sur le territoire, les opérateurs n’ayant plus les moyens d’assurer le tri et le traitement des vêtements récupérés. Une situation critique qui appelle des réponses rapides pour préserver les emplois et le maillage territorial.
Plusieurs pistes sont à l’étude pour réinventer le modèle économique de la filière. Parmi elles, le développement du recyclage en circuit fermé, pour refabriquer de nouveaux vêtements à partir des matières collectées. Mais ce « recyclage de fil à fil » n’en est encore qu’à ses balbutiements, faute de technologie mature pour traiter les textiles composites. D’où l’idée de valoriser les déchets sous forme de combustible, un pis-aller en attendant que la recherche avance.
Repenser la collecte
Autre enjeu crucial : maintenir le dispositif de collecte malgré les difficultés. Car la disparition des bornes n’est pas une option, au risque d’encourager l’abandon sauvage des vêtements usagés. Pour les pouvoirs publics, l’urgence est donc d’accompagner les acteurs de l’économie sociale et solidaire dans leur mutation, en sécurisant leurs débouchés et en encourageant l’éco-conception. Un vaste chantier, alors que la loi imposera bientôt une collecte séparée des textiles dans tous les pays européens.
Ce n’est pas parce qu’il y a des difficultés qu’il faut arrêter d’apporter ses vêtements en point de collecte, la pire des solutions étant de les jeter dans le tout-venant.
Sandra Baldini, Refashion
Sur le front social aussi, les défis sont immenses. Car l’essor de la seconde main en occident génère son lot d’externalités négatives dans les pays du Sud. Casse des industries textiles locales, accumulation de déchets ultimes dans les dépotoirs… Le revers peu reluisant d’une mode circulaire pas toujours si vertueuse. Exempte de ces impacts collatéraux, la valorisation domestique des textiles triés en France mérite plus que jamais d’être encouragée. Le temps presse, pour éviter un naufrage social majeur.
A l’heure où la transition écologique n’a jamais semblé si urgente, l’industrie du recyclage textile doit impérativement se réinventer pour survivre. Un enjeu environnemental autant qu’économique et social, qui engage l’avenir de milliers d’emplois non délocalisables. Aux pouvoirs publics de se saisir du sujet, pour accompagner l’indispensable mutation d’une filière aujourd’hui en sursis. Une course contre la montre est engagée.