En Inde, la bataille fait rage autour de lieux de culte emblématiques. Des groupes nationalistes hindous multiplient les actions en justice pour réclamer la conversion de mosquées historiques en temples. Leur cible ultime : le majestueux Taj Mahal, joyau architectural mondialement connu, classé au patrimoine de l’Unesco. Un symbole de la splendeur moghole qu’ils rêvent de voir « purifié » de son passé islamique.
La reconquête des mosquées, nouveau cheval de bataille
Partout dans le pays, des religieux et avocats hindous saisissent les tribunaux. Leur objectif : prouver que certaines mosquées ont été érigées sur les ruines de temples, souvent par les empereurs moghols qui ont régné sur l’Inde du XVIe au XIXe siècle. Une douzaine de monuments sont dans leur viseur, dont la célèbre mosquée Gyanvapi à Varanasi ou la mosquée Shahi d’Aligarh.
Leurs arguments mêlent interprétations historiques controversées et ferveur religieuse. Comme l’explique Rishiraj Giri, un influent gourou à la tête d’un temple hindou de la déesse Kali :
Le temple sera reconstruit, il sera grandiose et magnifique. Nous laverons l’affront fait à notre foi par les envahisseurs barbares.
En mai dernier, ce leader religieux recevait avec faste Yogi Adityanath, prêtre et homme politique, actuel ministre en chef de l’Uttar Pradesh, l’État le plus peuplé d’Inde. Un soutien de poids pour ces revendications radicales.
Le Taj Mahal, incarnation de « l’oppression musulmane »
Mais c’est le Taj Mahal qui cristallise toutes les passions. Érigé au XVIIe siècle par l’empereur moghol Shâh Jahân en hommage à son épouse défunte, ce mausolée de marbre blanc est l’un des monuments les plus reconnaissables au monde. Un statut que les suprémacistes hindous ne supportent plus.
Ils affirment qu’un temple hindou préexistait sur le site et que le Taj Mahal en serait une version « islamisée ». Certains vont jusqu’à réclamer la destruction de la mosquée attenante au mausolée.
Le dôme du Taj Mahal est comme une verrue sur le visage de la mère Inde. Il doit être arraché.
— Déclaration d’un responsable du RSS, influente organisation nationaliste hindoue
Bien que les historiens rejettent ces allégations, la pression politique et judiciaire s’accroît. En 2017, la Cour suprême indienne a même dû rappeler le gouvernement à ses obligations de protection de ce site classé.
Une dérive identitaire inquiétante
Pour beaucoup, cette offensive contre les mosquées reflète la radicalisation d’une frange de la société indienne. Depuis l’arrivée au pouvoir en 2014 du Premier ministre nationaliste Narendra Modi, les incidents communautaires se multiplient, les discours islamophobes se libèrent.
Sous couvert d’une « renaissance » de l’hindouisme, c’est un véritable révisionnisme historique qui est à l’œuvre. Un narratif victimaire qui dépeint les musulmans en envahisseurs et les hindous en éternelles victimes sur leur propre sol.
C’est une tentative de réécrire le passé, d’effacer les nuances et la complexité de notre histoire commune. Cela ne peut que nourrir les peurs et attiser la haine.
— Analyse d’un chercheur en sciences politiques souhaitant rester anonyme
Face à cette escalade, les autorités indiennes semblent tétanisées. Tiraillées entre la protection d’un patrimoine mondialement admiré et le désir de ne pas froisser une base électorale nationaliste en plein essor. Mais ce faisant, elles laissent le champ libre à une surenchère identitaire dont l’issue semble chaque jour plus incertaine.
L’Inde, mosaïque de peuples et de religions, se retrouve aujourd’hui face à un immense défi. Celui de préserver sa diversité et sa mémoire, sans les laisser dévorer par les fanatismes. Un enjeu crucial, symbolisé par le destin encore en suspens de ses joyaux architecturaux, à l’image du majestueux Taj Mahal. Des trésors d’histoire et d’art qui, plus que jamais, ont besoin de la protection et de la sagesse de tous.
