Dans les entrailles de la capitale, un peuple méconnu brave quotidiennement l’enfer des transports. Armés de leurs fidèles livres, ces irréductibles lecteurs parviennent à s’évader de la morosité du métro parisien. Partez à la rencontre de ces explorateurs d’un nouveau genre qui ont fait des souterrains leur paradis livresque.
Le métro, un enfer pavé de pages
Chaque jour, 5 millions de voyageurs s’engouffrent dans le ventre de Paris. Dans la promiscuité des rames bondées, au milieu des visages fermés scotchés aux écrans, quelques irréductibles osent encore sortir un livre. Qui sont ces héros des temps modernes ? Quelles sont leurs motivations ? Nous sommes allés à leur rencontre.
Faut avoir le courage des crabes !
– Céline
Des lecteurs à contre-courant
À l’heure où la grande majorité des passagers restent vissés à leur smartphone, certains irréductibles continuent de lire sur papier. Romans, essais, journaux, peu importe le contenu pourvu qu’ils puissent s’évader. Dans chaque rame, on en compte en moyenne 1 ou 2, parfois 3, tels des électrons libres dans un flot digital.
Parmi ces lecteurs à contre-courant, Jean-François, fin stratège, qui choisit toujours un carré pour pouvoir se plonger dans les pages économiques du Monde. Ou encore Virginie, étudiante en droit, qui s’attaque tranquillement aux 960 pages d’Illusions perdues de Balzac.
Un jour, assise dans un carré, je me suis fait féliciter par deux dames en face de moi. « Vous ne savez pas à quel point cela fait du bien de voir des gens qui lisent de vrais livres ! » m’ont-elles dit.
– Virginie, étudiante en droit
Un réseau secret de lecteurs
Entre ces passionnés des mots, il existe un véritable réseau secret fait de regards complices et de sourires en coin. C’est le cas de Claire, étudiante de 20 ans : « Si je vois quelqu’un lire, je sors le livre que j’ai toujours avec moi », nous confie-t-elle. Une jungle de connexions discrètes où chacun se reconnaît.
Des chercheurs ont même démontré en 2013 que la simple présence d’un livre dans une rame modifiait les comportements et les perceptions. Les lecteurs seraient-ils les derniers résistants d’un monde hyperconnecté ?
Je me sens au-dessus des autres quand je les vois scroller comme des boeufs sur leur portable.
– Jean, ancien adepte de la lecture dans le métro
Lire envers et contre tout
Bousculades, changements intempestifs, arrêts soudains, rien n’arrête ces irréductibles lecteurs dans leur quête d’évasion littéraire. Certains ont développé de véritables techniques pour lire debout, calant leur ouvrage sur les barres du métro. D’autres parviennent à s’abstraire complètement du bruit et de l’agitation ambiante pour rester concentrés sur leur récit.
Et si le simple fait de lire dans le métro était un acte de résistance ? Dans une époque où le temps semble compressé et l’attention sans cesse sollicitée, ces passagers au long cours symbolisent un retour à l’essentiel. Une façon de se réapproprier ces instants perdus pour voyager, s’instruire, rêver.
Des lecteurs en voie de disparition ?
Pourtant, aussi héroïques soient-ils, les lecteurs du métro semblent appartenir à une espèce en voie de disparition. Face à la déferlante des écrans et des réseaux sociaux, combien de temps encore résisteront ces irréductibles ? Déjà, beaucoup confient avoir abandonné, à l’image de Jean qui a troqué son livre contre un Vélib’.
Alors profitons-en, la prochaine fois que vous croiserez un lecteur dans le métro, souriez-lui, faites-lui un signe discret. Et qui sait, peut-être vous donnera-t-il l’envie de rejoindre à votre tour cette confrérie des irréductibles, ces explorateurs du temps perdu, pour transformer votre trajet en une parenthèse enchantée. Le métro, nouvel eldorado des lecteurs ?