Dans les couloirs de l’hôpital Necker à Paris, entre les chariots de soins et les machines, résonne une mélodie particulière : celle des leçons dispensées aux enfants malades par des enseignants bénévoles. Depuis près d’un siècle, l’association “L’école à l’hôpital” œuvre pour permettre à ces écoliers pas comme les autres de poursuivre leur scolarité malgré les épreuves. Un défi immense et pourtant essentiel, que Le Figaro a voulu voir de plus près.
Apporter les soins de l’esprit à l’hôpital
Lorsque Marie-Louise Imbert, brillante étudiante en philosophie, fonde l’association en 1929, rien n’est encore prévu pour les élèves ne pouvant suivre une scolarité classique. Avec un credo : “Apporter à l’esprit les soins que d’autres donnent au corps”, elle pose la première pierre d’un édifice qui ne cessera de grandir au fil des décennies.
Aujourd’hui, ce sont des milliers d’enfants qui sont admis chaque année dans les services pédiatriques de Necker. Pour redonner de l’insouciance et de la normalité à leur quotidien bouleversé par la maladie, l’association et ses bénévoles se mobilisent sans relâche. Parmi eux, Emmanuelle Vanborre et Dante Beccaria, deux professeurs passionnés qui donnent de leur temps chaque semaine.
Des cours sur-mesure pour chaque enfant
Le travail d’Emmanuelle, Dante et des autres bénévoles consiste à bâtir un programme pédagogique personnalisé pour chaque jeune patient, en fonction de son niveau scolaire mais aussi de son état de santé. Exercice d’équilibriste qui nécessite une grande capacité d’adaptation et d’improvisation. Anne-Sophie Launay, la coordinatrice, l’explique :
Beaucoup d’enfants ne restent que peu de temps, trois jours en moyenne. Il faut être au courant de toutes leurs entrées et sorties pour pouvoir leur proposer un accompagnement sur-mesure.
Anne-Sophie Launay, coordinatrice pédagogique de l’association
Concrètement, cela donne des cours particuliers qui s’adaptent au rythme et à la fatigue de chacun, dispensés aussi bien en chambre qu’en salle de dialyse ou dans les couloirs. Une évidence pour Emmanuelle, qui voit chaque situation comme un nouveau défi pédagogique à relever.
Faire s’évader les enfants grâce à la littérature
Au-delà des apprentissages, l’objectif est avant tout de permettre à ces élèves singuliers de retrouver, le temps d’un cours, leur place d’enfant. De s’extraire de leur statut de malade pour redevenir un écolier, un collégien, un lycéen comme les autres. Et pour cela, Emmanuelle mise sur la littérature :
Je ne suis pas soignante, je ne leur parle pas de leurs problèmes. Je suis là pour les faire s’évader grâce aux livres, aux mots. On peut se demander ce que ça peut faire de lire Lancelot quand on a un problème cardiaque… Et pourtant c’est tellement important de nourrir son esprit, d’exercer son sens critique. De mettre des mots sur ce qu’on traverse.
Emmanuelle Vanborre, professeure bénévole
Donner du temps et libérer la parole
Cette finalité “thérapeutique” des cours, Dante aussi en est convaincu. Pour lui, au-delà de la transmission des savoirs, l’essentiel est d’offrir une présence bienveillante et une oreille attentive à ces jeunes en souffrance :
On est là pour donner un cours bien sûr. Mais le plus important, c’est qu’on est là pour être avec eux, leur donner du temps. Il faut qu’ils sentent ça.
Dante Beccaria, professeur bénévole
Et le pari semble réussi. Car si les bénévoles ne connaissent rien des pathologies des enfants et s’interdisent d’en parler d’eux-mêmes, ces moments de cours se révèlent souvent propices aux confidences. Libérant une parole parfois enfouie, aidant certains à mettre des mots sur leurs maux.
Une philosophie humaniste à l’épreuve du temps
Près d’un siècle après sa création, la petite association est devenue une institution respectée, en parfaite complémentarité avec l’Éducation Nationale. Mais elle a su garder intact l’esprit de ses origines et la flamme de son engagement initial. Celui d’offrir à ces enfants meurtris un espace où redevenir des élèves, des êtres en devenir, riches de désirs et de possibles. Comme un pied-de-nez à la maladie.
Alors oui, les leçons résonnent parfois de façon un peu incongrue dans les couloirs aseptisés de l’hôpital. Mais elles sont comme une mélodie nécessaire, vitale, qui vient réenchanter le quotidien de ces enfants. Et donner tout son sens au combat de “L’école à l’hôpital”, cette si belle utopie devenue réalité.