InternationalPolitique

Libye : Haftar, l’Homme Fort de l’Est Incontournable

En Libye, Khalifa Haftar défie l'Europe en repoussant des ministres. Quelle est sa stratégie pour s'imposer comme incontournable ? La réponse pourrait redessiner la géopolitique régionale...

Pourquoi un maréchal libyen a-t-il renvoyé des ministres européens chez eux ? Le 8 juillet 2025, un incident diplomatique a secoué les relations entre l’Europe et la Libye. Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est libyen, a orchestré un coup d’éclat en refusant l’accès à une délégation européenne à Benghazi. Ce geste, loin d’être anodin, révèle une stratégie audacieuse pour asseoir son pouvoir dans un pays fracturé. Plongez dans les coulisses d’une Libye divisée, où les jeux de pouvoir, la crise migratoire et les ambitions géopolitiques se croisent.

Un pays, deux gouvernements : la fracture libyenne

Depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est un puzzle politique. À l’Ouest, le gouvernement d’unité nationale (GNU), dirigé par Abdelhamid Dbeibah, bénéficie de la reconnaissance internationale. À l’Est, un gouvernement parallèle, soutenu par le maréchal Khalifa Haftar, défie cette légitimité. Cette division n’est pas seulement géographique : elle reflète des luttes pour le contrôle des ressources, des côtes et des flux migratoires. Haftar, à la tête des forces armées libyennes (LNA), s’impose comme un acteur clé, notamment grâce à sa mainmise sur la sécurité dans l’Est.

Le 8 juillet, une délégation européenne, composée d’un commissaire et de ministres grec, italien et maltais, s’est rendue en Libye pour discuter de l’immigration irrégulière. Leur programme prévoyait une étape à Tripoli, puis à Benghazi. Mais à leur arrivée dans l’Est, ils ont été priés de repartir. Cet incident, qualifié de “problème de protocole” par Bruxelles, cache une réalité bien plus complexe.

Un affront calculé à Benghazi

Le refus d’accueillir la délégation européenne n’était pas un simple malentendu. Selon Tarek Megerisi, analyste au Conseil européen pour les relations internationales, ce geste était “calculé”. Haftar cherche à exploiter la crise migratoire, un sujet brûlant pour l’Europe, pour forcer une reconnaissance implicite de son gouvernement parallèle. En repoussant les Européens, il envoie un message : l’Est libyen n’est pas un acteur secondaire, mais un partenaire incontournable.

“Haftar exploite la crise migratoire pour obtenir une reconnaissance de facto de son gouvernement.”

Tarek Megerisi, analyste

Ce coup d’éclat intervient alors que des migrants, partis des côtes libyennes, affluent vers la Crète, en Grèce. Pour Haftar, contrôler les flux migratoires est une carte stratégique. En imposant ses conditions, il cherche à élargir ses relations avec l’Europe, passant du statut de chef militaire à celui d’acteur politique de premier plan.

La Grèce dans le viseur ?

Certains experts, comme Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye, estiment que cet incident visait particulièrement la Grèce. Deux jours plus tôt, le ministre grec des Affaires étrangères avait rencontré Haftar pour discuter de concessions migratoires et maritimes, sans proposer de contreparties significatives. Cette visite, jugée infructueuse par Benghazi, aurait laissé un goût amer.

Le 8 juillet, la présence d’un représentant grec dans la délégation européenne a exacerbé les tensions. En négociant le même jour avec Tripoli et Benghazi, les Européens ont semblé placer les deux gouvernements rivaux sur un pied d’égalité. Pour l’Est, c’était un affront. En réponse, Haftar a choisi de “punir” Athènes, selon Harchaoui, pour marquer sa différence et affirmer son autorité.

Un incident révélateur : en repoussant les Européens, Haftar montre qu’il n’accepte pas d’être traité comme un simple chef militaire. Son ambition ? Devenir un acteur politique incontournable.

Une stratégie diplomatique audacieuse

Le clan Haftar ne se contente pas de gestes symboliques. Ces dernières années, ils ont multiplié les initiatives pour asseoir leur légitimité à l’international. En février 2025, le maréchal a été reçu par le président français, Emmanuel Macron. En mai, c’est Vladimir Poutine, un allié de longue date, qui l’a accueilli. Son fils, Saddam Haftar, a effectué des visites aux États-Unis, en Turquie, en Italie et au Niger, tissant un réseau diplomatique impressionnant.

Cette offensive diplomatique s’appuie sur des atouts concrets. La famille Haftar contrôle une grande partie des côtes orientales de la Libye, un point stratégique pour les flux migratoires et les projets énergétiques. Leur richesse financière et leur influence militaire en font des acteurs incontournables, même pour des pays comme la Turquie, autrefois hostile à l’Est libyen.

La crise migratoire comme levier

La crise migratoire est au cœur de la stratégie de Haftar. Les côtes libyennes, en particulier celles de l’Est, sont un point de départ majeur pour les migrants tentant de rejoindre l’Europe. En contrôlant ces zones, Haftar détient un levier puissant pour négocier avec les Européens, qui cherchent à endiguer ces flux. Mais il ne s’agit pas seulement de migration. Haftar vise une reconnaissance politique, un statut qui le placerait au même niveau que le gouvernement de Tripoli.

Pour l’Europe, la situation est délicate. Les diplomates doivent jongler entre leur soutien officiel au gouvernement de Tripoli et des discussions pragmatiques avec les forces de Haftar. Cette dualité crée des tensions, comme l’a montré l’incident de Benghazi. Les Européens se retrouvent dans une position inconfortable, obligés de négocier avec un acteur qu’ils ne reconnaissent pas officiellement.

La Turquie et les ambitions géopolitiques

Même la Turquie, qui a soutenu Tripoli contre Haftar lors d’un conflit en 2020, semble désormais prête à collaborer avec l’Est. Ankara voit dans le clan Haftar une opportunité pour des projets de construction lucratifs et pour renforcer un accord controversé de délimitation maritime en Méditerranée orientale. Cet accord, signé avec Tripoli et contesté par la Grèce, pourrait être consolidé si l’Est libyen venait à l’approuver.

Ce revirement illustre la complexité des alliances en Libye. Les acteurs internationaux, qu’il s’agisse de la Turquie, de la Russie ou de la France, doivent composer avec les ambitions de Haftar. Sa capacité à tisser des liens avec des puissances étrangères tout en maintenant un contrôle strict sur l’Est libyen en fait un joueur clé dans la région.

Les ressources énergétiques en jeu

Outre la migration, l’énergie est un autre domaine où Haftar exerce une influence considérable. L’Est libyen abrite d’importants gisements pétroliers et gaziers, cruciaux pour l’économie du pays et pour l’approvisionnement de l’Europe. En contrôlant ces ressources, Haftar renforce sa position sur la scène internationale. Les projets énergétiques deviennent ainsi un outil pour attirer des partenaires étrangers et consolider son pouvoir.

Domaine Influence de Haftar
Migration Contrôle des côtes orientales, levier pour négocier avec l’Europe.
Énergie Mainmise sur les gisements pétroliers et gaziers de l’Est.
Diplomatie Rencontres avec des leaders mondiaux pour asseoir sa légitimité.

Un message clair à l’Europe

L’incident de Benghazi n’est pas un simple accroc diplomatique. Il reflète la volonté de Haftar de redéfinir les rapports de force. En repoussant les Européens, il leur rappelle qu’ignorer l’Est libyen a un coût. Son message est limpide : “Prenez-nous au sérieux.” Cette stratégie, bien que risquée, pourrait porter ses fruits si les Européens, confrontés à la pression migratoire et énergétique, finissent par accorder une reconnaissance implicite à son gouvernement.

Pourtant, cette approche n’est pas sans danger. En défiant ouvertement l’Europe, Haftar pourrait s’aliéner des partenaires potentiels. De plus, la rivalité avec Tripoli reste un obstacle majeur à la stabilisation de la Libye. Une question demeure : jusqu’où ira-t-il pour imposer sa vision ?

Vers une reconnaissance internationale ?

La quête de légitimité de Haftar ne se limite pas à l’Europe. Ses alliances avec la Russie, la France et d’autres puissances montrent qu’il joue sur plusieurs tableaux. En diversifiant ses partenaires, il réduit sa dépendance envers un seul acteur et renforce sa position. Mais cette stratégie pourrait aussi compliquer les efforts de réunification de la Libye, un objectif proclamé par la communauté internationale.

Pour l’instant, Haftar semble réussir son pari. Son emprise sur l’Est, combinée à ses ressources financières et militaires, en fait un acteur qu’aucun pays ne peut ignorer. Mais la route vers une reconnaissance officielle reste semée d’embûches, notamment à cause des tensions avec Tripoli et des rivalités régionales.

Quel avenir pour la Libye ?

La Libye reste un pays fracturé, où les ambitions personnelles et les intérêts internationaux s’entremêlent. Haftar, avec son mélange de pragmatisme et d’audace, incarne cette complexité. Son refus d’accueillir les Européens à Benghazi n’est qu’un épisode dans une lutte plus vaste pour le pouvoir et la reconnaissance. Mais cet incident pourrait marquer un tournant, obligeant l’Europe et le monde à reconsidérer leur approche vis-à-vis de l’Est libyen.

En attendant, la population libyenne continue de payer le prix de cette instabilité. Entre crise migratoire, luttes de pouvoir et enjeux énergétiques, le pays reste un théâtre de tensions. Haftar, lui, avance ses pions, déterminé à s’imposer comme un acteur incontournable. Reste à savoir si son pari audacieux le mènera à la victoire ou à l’isolement.

La Libye à la croisée des chemins : entre division et ambitions géopolitiques, quel rôle pour Haftar dans l’avenir du pays ?

Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.