Imaginez une famille entière qui a tout risqué pour traverser le désert, qui vit depuis des années dans l’ombre des ruines de Tripoli, et qui apprend soudain qu’elle doit repartir dans les prochaines semaines. C’est la réalité qui frappe des centaines de milliers de personnes en Libye en cette fin d’année 2025.
La Libye veut vider son territoire des migrants irréguliers
Le ministre libyen de l’Intérieur, Imad Trabelsi, ne mâche pas ses mots : il faut accélérer les retours avant qu’une « installation permanente » ne devienne inéluctable. Depuis octobre, un nouveau programme de rapatriement a été lancé en coordination avec les ambassades concernées.
Dès le mois de décembre, deux vols hebdomadaires décolleront vers le Tchad, la Somalie, le Mali et même la Syrie. Des milliers de personnes seront ainsi renvoyées dans leur pays d’origine en quelques semaines seulement. Une opération d’une ampleur rarement vue depuis 2011.
Une rue libyenne « en ébullition »
Le ministre justifie cette accélération par la colère croissante de la population locale. « La rue libyenne est en ébullition et s’oppose à tout projet d’installation permanente », a-t-il déclaré devant les ambassadeurs et représentants d’organisations internationales.
Ce sentiment n’est pas nouveau, mais il prend aujourd’hui une dimension politique forte. Les Libyens, eux-mêmes épuisés par quatorze ans d’instabilité, voient dans la présence massive de migrants une menace supplémentaire pour leurs ressources déjà limitées.
« Trois millions de migrants sont entrés illégalement en Libye depuis 2010, dont 70 % sont des familles. D’où la crainte d’un projet d’installation permanente. »
Imad Trabelsi, ministre libyen de l’Intérieur
Un traitement particulier pour les Soudanais
Tous les migrants ne sont pas logés à la même enseigne. Les Soudanais, eux, bénéficieront d’un régime différent. En raison de la guerre qui ravage leur pays depuis avril 2023, entre 500 000 et 700 000 d’entre eux ont fui vers la Libye.
Ils auront accès aux soins et aux écoles, a précisé le ministre. Une reconnaissance implicite que renvoyer ces populations dans un pays en feu serait contraire aux conventions internationales.
25 286 interceptions en mer rien que cette année
La Libye reste le principal point de départ des traversées clandestines vers l’Europe. Cette année, les garde-côtes libyens, soutenus par l’Union européenne, ont intercepté 25 286 personnes en mer, dont un millier d’enfants, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Ces chiffres montrent l’ampleur du défi. Derrière chaque interception se cache une histoire de détresse, des familles entières qui ont tout vendu pour tenter la traversée sur des embarcations de fortune.
L’Europe appelée à l’aide… mais avec des conditions
Imad Trabelsi n’a pas manqué de rappeler que son pays assure une grande partie du contrôle migratoire au bénéfice de l’Europe, tout en recevant une aide qu’il juge « très limitée ».
L’ambassadeur de l’Union européenne en Libye, Nicola Orlando, a répondu présent. Il a assuré que l’UE souhaitait faciliter les « retours humanitaires volontaires » et qu’elle n’avait « certainement pas pour objectif d’installer des migrants en Libye ».
Mais il a ajouté une condition claire : ces rapatriements doivent respecter les normes internationales des droits humains. Un rappel qui fait écho aux nombreux rapports accablants de l’ONU sur les conditions de détention en Libye.
Un pays toujours fracturé depuis 2011
Depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi, la Libye n’a jamais retrouvé de stabilité durable. Divisions politiques, milices rivales, économie parallèle : tout concourt à faire du pays une plaque tournante de la traite des êtres humains.
Extorsion, travail forcé, esclavage moderne : les témoignages recueillis par les organisations internationales sont terrifiants. Et pourtant, des centaines de milliers de personnes continuent d’y voir une étape obligée vers un hypothétique eldorado européen.
Que va-t-il se passer concrètement en décembre ?
À partir du mois prochain, les aéroports de Tripoli et de Misrata devraient voir défiler des scènes bouleversantes. Des familles entières, parfois installées depuis plus de dix ans, seront rassemblées, enregistrées, puis embarquées vers des pays qu’elles ont fuits il y a longtemps.
Pour beaucoup, le retour signifie retrouver la guerre, la misère ou l’inconnu. Pour d’autres, c’est peut-être une chance de recommencer ailleurs qu’en Libye.
Une chose est sûre : cette vague de rapatriements va marquer un tournant dans la gestion de la crise migratoire en Méditerranée centrale. Et elle pose, une fois de plus, la question de la responsabilité partagée entre pays d’origine, pays de transit et pays de destination.
En résumé : La Libye, épuisée et divisée, choisit l’accélération massive des renvois pour reprendre la main sur son territoire. L’Europe applaudit discrètement mais rappelle les droits humains. Et au milieu, des centaines de milliers de vies suspendues à un billet d’avion retour.
La Méditerranée reste, plus que jamais, un miroir cruel de nos contradictions collectives.









