La sortie imminente de l’autobiographie de Jordan Bardella, président du Rassemblement National, fait des remous dans le milieu des librairies indépendantes. Intitulé “Ce que je cherche”, l’ouvrage est déjà boudé par de nombreux libraires qui refusent de le proposer à la vente, au nom de leurs valeurs. Un choix militant qui ne fait pas l’unanimité et relance le débat sur le rôle des librairies.
Des librairies engagées qui assument leur choix
Dans les vitrines des librairies généralistes indépendantes, vous ne trouverez pas le dernier livre du chef de file du parti d’extrême-droite. Un boycott revendiqué par certains professionnels, à l’image de Louise, libraire à Lyon :
“C’est contre nos valeurs. Tout simplement. On n’est pas une librairie estampillée politique mais là, c’était évident. Et puis, ce n’est pas du tout le genre de lecture de notre clientèle.”
– Louise, libraire indépendante à Lyon
Un positionnement partagé par Laurent, gérant de la librairie militante “Terre de livres”. Pour lui, les orientations de son commerce sont “opposées à celles de Monsieur Bardella” :
“Féminisme, décroissance, décolonisation… Tous nos engagements sont opposés à ceux de monsieur Bardella. D’ailleurs, on ne doit pas avoir un seul livre de cette maison d’édition. De notre côté, on ne s’est même pas posé la question !”
– Laurent, gérant de la librairie “Terre de livres”
Des parti-pris assumés donc, que ces libraires présentent comme relevant de leur liberté de choix et de leur “métier de libraire de faire une sélection”. D’autant qu’ils assurent que si un client leur demande spécifiquement l’ouvrage, ils le commanderont.
Une censure qui ne dit pas son nom ?
Mais pour d’autres, ce boycott généralisé des librairies indépendantes s’apparente à une forme de censure. Des voix s’élèvent pour dénoncer une atteinte à la liberté d’expression et au pluralisme des idées.
Chez Fayard, la maison d’édition de Jordan Bardella, on s’étonne qu’aucun représentant n’ait même tenté de démarcher ces librairies réfractaires. Selon une source proche du dossier, “ils savent très bien qu’ils se heurteraient à un mur. Leur ligne éditoriale militante est connue, inutile d’insister”.
Ce qui n’empêche pas certains de crier à “l’ostracisation” d’une personnalité politique et de ses idées, aussi controversées soient-elles. Une mise à l’index que récusent les principaux intéressés :
“C’est absurde de parler de censure. Il existe de nombreux endroits où l’ouvrage sera disponible sans même le demander. Nous avons bien un Mein Kampf pour un universitaire et un livre de Zemmour pour un chercheur. C’est notre droit le plus strict de choisir ce que nous voulons vendre.”
– Un libraire indépendant
Un révélateur des fractures françaises
Au-delà de la polémique, ce boycott est symptomatique des lignes de faille qui traversent la société française. Il met en lumière la difficulté à concilier militantisme et devoir d’impartialité, liberté de choix et pluralisme des idées.
Il révèle aussi la place singulière qu’occupent les librairies indépendantes, à mi-chemin entre commerces et lieux de culture. Loin d’être de simples points de vente, elles revendiquent un rôle de prescripteur et de médiateur, en phase avec les attentes de leur clientèle.
Une posture délicate à tenir dans un pays où le débat politique est de plus en plus clivant et passionnel. En refusant de vendre l’autobiographie du chef de l’extrême-droite, ces librairies prennent le risque de conforter certains dans l’idée d’un “système” qui ostracise les idées alternatives.
Quel avenir pour le livre politique ?
Plus largement, cette polémique interroge sur la place du livre politique dans le paysage éditorial français. Si les ouvrages des personnalités clivantes peinent à trouver leur place en librairie, faut-il y voir le signe d’un rejet des idées extrêmes ou d’un secteur qui se referme sur lui-même ?
Une chose est sûre, le boycott du livre de Jordan Bardella ne devrait pas affecter ses ventes. L’élu RN peut compter sur une base de lecteurs fidèles et sur un battage médiatique qui servira sans doute les intérêts de son ouvrage. Quitte à conforter l’image d’un homme “censure” par le microcosme culturel.
Loin des postures, il appartient peut-être aux libraires de réinventer leur rôle de passeur et de médiateur. En ouvrant le débat plutôt qu’en fermant leurs rayons, en privilégiant le dialogue à la mise à l’index. Un défi de taille à l’heure des réseaux sociaux et des vérités alternatives.