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Libération d’Espions Présumés au Burkina Faso

Huit membres d’une ONG spécialisée dans la sécurité humanitaire viennent d’être libérés au Burkina Faso après avoir été accusés d’espionnage. Trois Européens parmi eux. Mais derrière cette libération discrète, que cache vraiment la junte d’Ibrahim Traoré ? L’affaire est loin d’être close…

Imaginez-vous arrêté dans un pays en guerre contre le terrorisme, accusé d’espionnage alors que vous tentiez simplement d’aider les humanitaires à travailler en sécurité. C’est exactement ce qui est arrivé à huit membres d’une organisation non gouvernementale fin 2024 au Burkina Faso. Leur libération, passée presque inaperçue, soulève pourtant des questions brûlantes sur la nouvelle donne politique au Sahel.

Une libération discrète après des mois de tension

Fin octobre, huit collaborateurs de l’ONG INSO ont retrouvé la liberté. Parmi eux, trois ressortissants européens : un Français, une femme possédant la double nationalité franco-sénégalaise et un Tchèque. Les cinq autres sont un Malien et quatre Burkinabè. Tous travaillaient pour une structure spécialisée dans l’analyse des risques sécuritaires à destination des organisations humanitaires.

L’organisation, basée à La Haye, a sobrement salué cette issue positive tout en remerciant ceux qui ont permis ce dénouement. Aucun détail supplémentaire n’a filtré sur les conditions de leur remise en liberté ni sur d’éventuelles contreparties.

Des accusations graves portées par la junte

Le régime du capitaine Ibrahim Traoré, au pouvoir depuis le coup d’État de septembre 2022, n’a pas mâché ses mots. Les autorités ont parlé d’espionnage et même de trahison. Le ministre de la Sécurité, Mahamadou Sana, a accusé l’ONG de collecter des informations sensibles pour le compte de puissances étrangères, au détriment de la sécurité nationale.

Le grief principal ? Avoir continué des activités après la suspension officielle de l’ONG, décidée le 31 juillet pour une durée de trois mois. Des réunions clandestines, des collectes de données non autorisées… Voilà ce que Ouagadougou reproche aux responsables.

« INSO est une ONG étrangère, dirigée par des étrangers, qui collectait et fournissait des informations sécuritaires sensibles pouvant être préjudiciables à la sécurité nationale et aux intérêts du Burkina Faso, à des puissances étrangères. »

Mahamadou Sana, ministre de la Sécurité

Un contexte régional explosif

Le Burkina Faso ne fait pas cavalier seul. Le Mali et le Niger, eux aussi dirigés par des juntes militaires, mènent la même croisade contre certaines organisations internationales. L’Alliance des États du Sahel (AES), créée par ces trois pays, affiche une volonté farouche de souveraineté et de rupture avec l’influence occidentale, la France en première ligne.

Au Niger, des centaines d’ONG ont vu leurs activités suspendues. Au Mali, toutes les structures financées par Paris ont été interdites dès 2022. Le message est clair : les nouvelles autorités entendent reprendre la main sur l’information sécuritaire et sur l’aide humanitaire.

Dans ce trio, le Burkina Faso se distingue par une répression particulièrement dure. Enlèvements, disparitions, arrestations arbitraires : les témoignages se multiplient depuis plus d’un an. Des journalistes, des militants, des officiers jugés trop proches de l’ancien régime… Personne n’est à l’abri.

Le retour en force de la peine de mort

Le timing de la libération n’est pas anodin. Quelques jours plus tôt, le gouvernement annonçait le rétablissement de la peine capitale dans le code pénal, notamment pour les faits d’espionnage. Une mesure qui prend une résonance particulière quand on sait que les huit membres d’INSO risquaient, en théorie, la condamnation maximale.

Ce durcissement législatif s’inscrit dans une logique plus large de contrôle total de l’appareil sécuritaire. Dans un pays où les attaques jihadistes font des milliers de morts chaque année, le régime justifie toutes les mesures au nom de la lutte antiterroriste.

Que faisait réellement cette ONG au Burkina ?

INSO n’est pas une organisation comme les autres. Elle ne distribue pas de nourriture ni ne creuse de puits. Son rôle est plus discret mais stratégique : fournir des analyses de risques actualisées aux ONG classiques pour qu’elles puissent opérer sans mettre leur personnel en danger.

Cartes des zones à risque, alertes en temps réel, conseils d’évacuation… Ces données sont précieuses. Trop précieuses, selon Ouagadougou, qui y voit une forme d’ingérence. Pour la junte, partager ce type d’informations avec des acteurs extérieurs revient à livrer des éléments tactiques aux ennemis du pays.

L’argument n’est pas totalement dénué de fondement dans un contexte où certaines puissances étrangères ont été accusées de jouer double jeu au Sahel. Mais il ouvre aussi la porte à toutes les interprétations et à toutes les suspicions.

Les Européens, cibles privilégiées

La présence de trois Européens parmi les personnes arrêtées n’est pas anodine. Depuis 2022, le discours officiel burkinabè fustige régulièrement l’ancienne puissance coloniale et ses alliés. La France est accusée de vouloir déstabiliser le pays, accusations toujours fermement démenties par Paris.

Cette libération intervient dans un climat diplomatique glacial. Expulsion des forces françaises, rupture des accords militaires, suspension de plusieurs médias français… Le Burkina de Traoré a choisi la confrontation.

Dans ce contexte, la détention de ressortissants européens devient un levier politique. Leur libération peut être perçue comme un geste d’apaisement… ou comme la reconnaissance qu’il n’y avait finalement pas de preuves solides.

Un précédent inquiétant pour l’aide humanitaire

Cette affaire pose une question de fond : comment continuer à porter assistance aux populations dans des zones de conflit quand les États eux-mêmes se méfient des acteurs humanitaires ? Le principe d’indépendance et de neutralité est mis à rude épreuve.

D’autres ONG ont déjà plié bagage. Certaines ont transféré leur personnel dans les pays voisins. D’autres tentent de s’adapter en réduisant leur visibilité ou en passant par des partenaires locaux. Mais la marge de manœuvre se rétrécit dangereusement.

Pour les millions de Burkinabè déplacés ou vivant sous la menace permanente des groupes armés, les conséquences sont dramatiques. L’aide peine à arriver là où les besoins sont les plus criants.

Vers une nouvelle ère au Sahel ?

L’Alliance des États du Sahel veut incarner une troisième voie : ni alignement sur l’Occident, ni soumission aux nouveaux partenaires comme la Russie ou la Chine. Une souveraineté affichée, parfois jusqu’à l’excès.

Cette ligne politique séduit une partie de la jeunesse africaine, lassée des discours occidentaux. Mais elle inquiète aussi par son autoritarisme croissant et son rejet de toute critique.

La libération des membres d’INSO clôt un chapitre. Mais elle ouvre surtout une période d’incertitude pour tous ceux qui, de près ou de loin, travaillent encore dans ces trois pays du Sahel central.

Car derrière les accusations d’espionnage, c’est bien la question du contrôle de l’information et de l’espace humanitaire qui se pose. Et dans ce bras de fer entre souveraineté nationale et principes universels, ce sont souvent les populations les plus vulnérables qui trinquent.

Une chose est sûre : le Sahel d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier. Et ceux qui pensaient pouvoir y travailler comme avant risquent de devoir rapidement réviser leurs plans.

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