Ils rentraient simplement d’un déjeuner chez les grands-parents. Un moment banal, comme tant d’autres familles en font chaque week-end. Et puis le ciel s’est abattu sur eux.
En l’espace d’un éclair, Amani Bazzi, 33 ans, s’est retrouvée seule avec sa fille aînée grièvement blessée. Son mari et trois de ses enfants ont été tués sur le coup. Une frappe israélienne, en plein jour, sur une route du sud-Liban.
Une famille ordinaire prise dans la tempête
Le 21 septembre dernier, la voiture de la famille roulait tranquillement près de Bint Jbeil, à quelques kilomètres de la frontière. À bord : Chadi Charara, 46 ans, vendeur de voitures, sa femme Amani, leurs filles Aseel (13 ans) et Céline (10 ans), et les jumeaux Hadi et Cylan, âgés de tout juste 19 mois.
Ils venaient de passer l’après-midi chez les parents d’Amani. Des sacs de nourriture, une poussette, des petites chaussures toutes neuves pour Hadi. Rien qui puisse ressembler, de loin ou de près, à une cible militaire.
La voiture s’est arrêtée quelques secondes. Le temps de saluer un proche qui passait à moto. C’est à cet instant précis que le missile a frappé.
Ce qui reste après l’explosion
Le motard a été tué lui aussi. La voiture a été pulvérisée. Quand les secours sont arrivés, ils ont retrouvé la poussette des jumeaux tordue parmi les débris, les petits sacs de courses éventrés, une chaussure d’enfant à moitié fondue.
Amani, projetée hors du véhicule, était grièvement blessée. Aseel, sa fille aînée, a survécu mais son corps est couvert de brûlures et de fragments. Les quatre autres membres de la famille n’ont pas eu cette chance.
« Nos enfants étaient toute notre vie. Nous faisions tout ensemble »
Amani Bazzi, depuis son lit d’hôpital à Beyrouth
Aujourd’hui encore, elle revoit les images. Les rires des jumeaux dans les vidéos qu’elle garde précieusement sur son téléphone. Céline qui chantait comme une grande. Et puis plus rien.
Un cessez-le-feu qui ne protège personne
Le 27 novembre 2024, un cessez-le-feu était pourtant entré en vigueur entre Israël et le Hezbollah. Un an plus tard, les frappes continuent. Elles se sont même intensifiées ces dernières semaines.
Israël affirme cibler des membres ou des infrastructures du Hezbollah qui se réarmerait. Le mouvement chiite dément. Entre les deux versions, ce sont des civils qui paient le prix.
Depuis la fin officielle des hostilités :
- Plus de 340 personnes tuées au Liban
- Près de 1 000 blessés
- Au moins 127 civils tués par des frappes israéliennes, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies
Des chiffres qui donnent le vertige. Et derrière chaque chiffre, une histoire brisée.
Une version officielle qui ne convainc personne
L’armée israélienne a reconnu la frappe. Elle a indiqué avoir visé « un membre du Hezbollah » sans jamais donner son nom. Elle a ajouté « regretter tout dommage causé à des personnes non impliquées » et annoncé l’ouverture d’une enquête.
Ces mots sonnent creux pour Amani. Sa famille n’avait aucun lien politique. Lors des funérailles, les cercueils étaient recouverts du drapeau libanais, pas de l’étendard jaune du Hezbollah. Un détail qui en dit long.
Elle était là, sur une civière, le bracelet de l’hôpital encore au poignet, incapable de tenir debout mais refusant de manquer l’adieu à ses enfants.
Quand l’ONU parle d’assassinat ciblé de civils
Le rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, Morris Tidball-Binz, n’y est pas allé par quatre chemins. Pour lui, cette attaque constitue « un assassinat ciblé de civils non armés » et viole clairement le droit international.
« C’était une injustice. Ils étaient innocents. Cela n’aurait jamais dû leur arriver »
Aseel, 13 ans, la seule survivante avec sa mère
Des mots d’enfant. Mais d’une maturité terrifiante.
Une maison déjà détruite une première fois
Ce n’est pas la première fois que la famille Bazzi-Charara voit sa vie basculer. L’an dernier, leur appartement à Tyr a été entièrement détruit. Un raid sur un immeuble voisin avait déclenché un incendie qui a tout emporté.
Amani porte encore aujourd’hui un pull avec l’inscription « J’aimerais que vous soyez là » et un badge avec les photos de son mari et de ses trois enfants disparus. Comme un cri silencieux.
Un combat qui commence à peine
Depuis son lit d’hôpital, Amani Bazzi a pris une décision. Elle ira jusqu’au bout. Elle veut porter l’affaire devant la communauté internationale, devant les tribunaux internationaux.
Elle répète, inlassablement :
« Nous continuerons jusqu’au bout pour obtenir justice pour Chadi, Hadi, Cylan et Céline »
Sa fille Aseel, malgré les douleurs qui la traversent encore, a le regard durci. Dès qu’elle sortira de l’hôpital, elle sait ce qu’elle fera en premier : se battre pour que plus jamais une famille ne vive ce qu’elles ont vécu.
Elles ne demandent pas vengeance. Elles demandent justice. Une différence fondamentale que certains semblent oublier.
Et demain ?
Dans le sud-Liban, les drones continuent de survoler les villages. Les explosions résonnent encore certaines nuits. Le cessez-le-feu n’a jamais vraiment été une paix.
Des familles entières vivent dans la peur permanente d’être la prochaine cible « collatérale ». Des enfants grandissent avec le bruit des moteurs d’avions comme berceuse.
Amani Bazzi, elle, n’a plus peur. Elle n’a plus rien à perdre. Tout ce qu’il lui reste, c’est cette colère froide, cette détermination farouche à faire entendre la voix de ses enfants morts.
Et quelque part, dans une chambre d’hôpital de Beyrouth, une mère et sa fille préparent déjà le dossier qui, peut-être, fera bouger les lignes. Un jour.
Parce que tant qu’il y aura des Amani et des Aseel, l’espoir de justice, même infime, continuera de brûler.









