Imaginez la scène : deux délégations qui, officiellement, sont encore en guerre depuis 1948, se retrouvent dans la même pièce, sous l’œil de casques bleus. Mercredi, cela s’est produit pour la première fois depuis des décennies. Et pourtant, le Premier ministre libanais Nawaf Salam a tenu à calmer immédiatement les enthousiasmes : « Ce n’est pas une négociation de paix. »
Un tête-à-tête historique qui fait déjà trembler la région
À Nakoura, dans cette petite base onusienne coincée entre la mer et la ligne de démarcation, des responsables civils libanais et israéliens ont discuté pendant plusieurs heures. Objectif affiché : faire respecter le cessez-le-feu conclu il y a un an après la guerre dévastatrice entre Israël et le Hezbollah. Mais les interprétations divergent déjà radicalement.
Côté israélien, le bureau de Benjamin Netanyahu a immédiatement vendu la rencontre comme une « première tentative pour établir une base de relations et de coopération économique ». Côté libanais, la réponse a fusé : non, mille fois non.
« Les relations économiques viendront à la toute fin »
Nawaf Salam n’a pas mâché ses mots devant les journalistes. Pour lui, l’ordre est clair et non négociable :
« Les relations économiques viendront à la toute fin du processus de normalisation, qui doit venir après la paix. Elles ne peuvent pas précéder la paix. »
Autrement dit : pas question de parler business tant que le retrait israélien total du territoire libanais n’est pas effectif et que la question des prisonniers libanais détenus en Israël n’est pas réglée.
Le chef du gouvernement libanais a même rappelé l’engagement indéfectible de son pays envers l’initiative de paix arabe de 2002 : reconnaissance d’Israël par l’ensemble des pays arabes en échange du retrait total des territoires occupés en 1967. Pas de paix séparée, pas de deal bilatéral en catimini.
Qu’est-ce qui s’est vraiment passé à Nakoura ?
La réunion s’est déroulée dans le cadre du mécanisme tripartite de surveillance du cessez-le-feu, sous l’égide de la FINUL, des États-Unis et de la France. Des officiers de haut rang des deux armées étaient présents, mais aussi, pour la première fois, des civils.
Les sujets sur la table étaient concrets :
- Retrait total des troupes israéliennes encore présentes au sud du Litani
- Démantèlement des structures militaires du Hezbollah dans la même zone
- Libération des Libanais détenus par Israël
- Vérification internationale du respect des engagements
Rien, officiellement, sur une éventuelle normalisation ou des projets économiques communs. Pourtant, la simple présence de civils a suffi à faire bondir les imaginations.
Le désarmement du Hezbollah : un calendrier sous haute tension
C’est peut-être le point le plus sensible. Nawaf Salam l’a confirmé : d’ici la fin de l’année 2025, l’armée libanaise doit achever le démantèlement de toutes les infrastructures militaires du Hezbollah entre la Ligne bleue et le fleuve Litani.
Ensuite viendra la phase deux : le désarmement progressif du parti chiite sur l’ensemble du territoire national. Un processus explosif politiquement, alors que le Hezbollah reste une force majeure au Parlement et dans la société libanaise.
Pour rassurer (ou désamorcer les critiques), le Premier ministre s’est dit ouvert à une vérification internationale par le mécanisme tripartite. Traduction : l’ONU, les États-Unis et la France pourront venir constater sur place que l’armée libanaise reprend bien le monopole des armes au sud.
Eau, frontières et experts : les prochains rounds
Nawaf Salam a laissé entendre que des experts libanais pourraient rejoindre les prochaines réunions. Topographes pour finaliser la délimitation exacte de la frontière, spécialistes de l’eau pour gérer les ressources partagées… Des sujets techniques, mais hautement politiques.
Car derrière chaque borne frontière se cache une histoire de villages disputés, derrière chaque goutte d’eau du Hasbani ou du Wazzani, une menace existentielle pour l’un ou l’autre camp.
Ces discussions « techniques » pourraient, à terme, devenir le véritable terrain d’une normalisation de facto, même si Beyrouth refuse catégoriquement le terme.
Pourquoi cette fermeté libanaise change tout
En refusant net l’étiquette « négociations de paix » et en renvoyant toute perspective économique à un hypothétique « après-paix », Nawaf Salam adresse plusieurs messages forts.
D’abord à son opinion publique : personne ne pourra l’accuser de brader la cause nationale ou de contourner la résistance incarnée par le Hezbollah.
Ensuite aux pays du Golfe, Arabie saoudite en tête, qui poussent depuis des mois pour un rapprochement libano-israélien dans le sillage des Accords d’Abraham.
Enfin à Washington et Paris, médiateurs du cessez-le-feu : le Liban est prêt à jouer le jeu de la stabilité, mais pas à n’importe quel prix.
Et maintenant ? Vers une paix froide ou un nouveau conflit ?
Le cessez-le-feu tient bon depuis un an, mais reste fragile. Israël continue de mener des frappes ponctuelles, accusant le Hezbollah de se réarmer. De l’autre côté, des incidents frontaliers se produisent presque quotidiennement.
La réunion de Nakoura a montré qu’un dialogue direct est possible. Mais elle a aussi révélé l’énorme fossé qui sépare encore les deux capitales.
Pour le Liban, la priorité reste la souveraineté pleine et entière sur son territoire et le monopole de l’État sur les armes. Pour Israël, la menace que représente le Hezbollah, même affaibli, demeure obsessionnelle.
Entre ces deux exigences, le chemin vers une paix durable semble encore très long. Mais le simple fait que des civils discutent déjà, sous l’œil des militaires, constitue en soi un événement historique.
La prochaine réunion du mécanisme tripartite sera scrutée comme jamais. Car c’est peut-être là, dans ces discussions a priori techniques sur des cartes et des points d’eau, que se jouera l’avenir de toute une région.
À suivre, donc. Très attentivement.









