Le bras de fer entre l’intelligence artificielle et les industries créatives se durcit. Cette semaine, les trois géants de l’industrie musicale Universal Music Group, Sony Music et Warner Music ont porté plainte contre deux start-up d’IA, Udio et Suno, les accusant d’avoir entraîné leurs modèles sur leur catalogue musical sans autorisation ni compensation.
Suno et Udio sont des outils grand public permettant de générer en quelques secondes de la musique «à la manière de» tel artiste ou style, à partir d’une simple demande textuelle. Des systèmes rendus possibles par l’entraînement des IA sur d’immenses bases de chansons. Selon les plaintes déposées par la RIAA, l’association de l’industrie musicale américaine, dans les tribunaux de New York et Boston, les chansons des artistes signés chez Universal, Sony et Warner feraient partie de ces bases de données, sans leur consentement.
L’industrie musicale veut poser ses conditions
Les majors ne s’opposent pas par principe à l’utilisation de l’IA en musique. Mais elles veulent que cela se fasse dans un cadre négocié, avec des accords de licence et une juste rémunération pour les artistes et ayants droit. C’est ce qu’explique Ken Doroshow, directeur juridique de la RIAA :
Ces poursuites sont nécessaires pour renforcer les règles les plus élémentaires du développement responsable, éthique et légal des systèmes d’IA générative.
– Ken Doroshow, RIAA
Universal a déjà signé un accord de licence avec YouTube pour permettre l’utilisation de son catalogue dans des outils d’IA générative, tout en donnant la possibilité aux ayants droit de bloquer l’utilisation de leurs œuvres. De son côté, le CEO de Suno affirme que les pratiques de sa société sont légales et conformes à l’état actuel du droit, mais qu’il s’adaptera si le cadre juridique évolue.
Une zone grise juridique
Le statut des créations générées par IA à partir d’œuvres protégées par le droit d’auteur reste un sujet de débat. Aux États-Unis, la jurisprudence tend à considérer les productions des IA comme de simples outils, au même titre qu’un instrument de musique, ne portant pas atteinte au copyright. Mais avec les progrès fulgurants des IA génératives, capables de créer des chansons bluffantes de réalisme, la donne pourrait changer.
La musique n’est pas le seul domaine concerné. Dans l’art, la photographie, le jeu vidéo ou la littérature, le même débat fait rage : les IA s’entraînent sur des créations existantes, souvent sans demander la permission. Plusieurs artistes ont déjà porté plainte, notamment contre les créateurs de Stable Diffusion et Midjourney. Une class action d’auteurs vise aussi OpenAI pour l’utilisation de livres dans l’entraînement de ChatGPT.
Vers une régulation de l’IA créative ?
Face à la déferlante de l’IA générative, les appels à légiférer se multiplient pour protéger la propriété intellectuelle. Aux États-Unis, plusieurs projets de loi sont à l’étude pour encadrer les usages de l’IA dans le domaine créatif. En Europe, le futur AI Act devrait aussi aborder la question des droits d’auteur.
Mais les entreprises d’IA font pression pour éviter une régulation trop contraignante qui ralentirait l’innovation. Elles mettent en avant les opportunités offertes par l’IA pour démocratiser la création et imaginer de nouvelles formes d’expression artistique hybrides homme-machine.
Entre protection de la création et libération du potentiel de l’IA, l’équilibre sera difficile à trouver. La bataille judiciaire lancée par Universal, Sony et Warner n’est sans doute que la première étape d’une longue saga qui redessinera le paysage de l’industrie musicale et de la propriété intellectuelle à l’ère de l’IA.