Le décès de l’ancien Président américain Jimmy Carter ce dimanche à l’âge de 98 ans fait ressurgir son héritage diplomatique majeur : les accords de paix historiques entre Israël et l’Egypte signés en 1979. Près d’un demi-siècle après avoir négocié ce traité, la paix qu’il a instaurée entre les deux anciens ennemis perdure, bien que fragile et sans réelle chaleur.
Une paix durable mais distante
Comme le souligne Ruth Wasserman Lande, ex-diplomate israélienne en poste au Caire, «Depuis 45 ans, nous n’avons pas eu de guerre mais je n’irai pas jusqu’à dire que c’est une paix». En effet, malgré des échanges commerciaux et énergétiques, une coopération sécuritaire et des relations diplomatiques maintenues au fil des décennies, un fossé persiste entre les peuples israélien et égyptien.
Pour beaucoup d’Egyptiens, Israël reste l’ennemi. La solidarité avec les Palestiniens s’est ravivée avec la guerre à Gaza d’octobre 2023 entre l’État hébreu et le Hamas. Les officiels égyptiens évitent de mentionner clairement Israël dans leurs discours. Et le tourisme israélien vers le Sinaï, restitué à l’Egypte par le traité de 1979, s’est tari depuis le début de ce conflit.
Le traité de paix le plus important de la région
Malgré ces tensions, l’accord de 1979 qui a fait de l’Egypte le premier pays arabe à reconnaître Israël, reste le traité de paix le plus crucial de la région. D’autant plus qu’il est adossé à une aide militaire américaine conséquente de 1,3 milliard de dollars par an pour l’Egypte.
Lundi, le Président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahu ont tous deux rendu hommage à l’action diplomatique de Jimmy Carter, prix Nobel de la Paix pour cette réalisation historique.
Une remise en cause du traité de paix n’est pas à l’ordre du jour malgré l’absence d’une réelle amitié entre les deux pays.
Le poids de l’Histoire
La poignée de main en septembre 1978 à Camp David entre Anouar al-Sadate et Menahem Begin, orchestrée par Jimmy Carter, reste un moment fondateur. Pourtant, la perception de l’ancien Président américain diffère de part et d’autre de la frontière israélo-égyptienne.
Anouar al-Sadate a payé de sa vie cette paix. Assassiné en octobre 1981 par des islamistes égyptiens qui voyaient en lui un traître, il reste une figure controversée dans son pays. Côté israélien, Jimmy Carter est critiqué pour ses positions jugées pro-palestiniennes et anti-colonies.
Selon Ofir Winter, de l’Institut d’études de sécurité de l’université de Tel-Aviv, «ces dernières décennies, les critiques de Carter sur la politique israélienne ont conduit une partie importante de l’opinion publique à considérer son attitude comme partiale et déséquilibrée vis-à-vis d’Israël».
En 2006, Jimmy Carter avait publié «Palestine: Peace Not Apartheid», suscitant la polémique en accusant Israël de pratiquer l’apartheid dans les territoires palestiniens. Netanyahu avait refusé de le rencontrer lors de sa visite en 2015.
A contrario, Mustapha Kamel al-Sayyid, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, estime que Carter restera «le Président américain qui s’est montré le plus juste envers les Arabes».
L’Egypte en équilibriste diplomatique
Depuis la révolution égyptienne de 2011 et l’attaque de l’ambassade d’Israël au Caire, la présence diplomatique israélienne en Egypte reste discrète. Selon des sources proches du dossier, l’ambassade fonctionne depuis la résidence de l’ambassadeur dans le quartier de Maadi, sans adresse officielle.
L’Egypte, elle-même alliée clé des États-Unis et grande bénéficiaire de l’aide militaire américaine, avance sur un fil depuis l’éclatement de la guerre entre Israël et le Hamas à Gaza. Le Caire a accusé Israël de crimes de guerre, tout en tentant de maintenir son rôle de médiateur en vue d’un cessez-le-feu.
Comme l’analyse Tewfick Aclimandos, historien au Centre égyptien d’études stratégiques : «l’Egypte tient fermement au traité de paix comme à un choix stratégique. Ce n’est pas par amour pour Israël… mais personne ne veut une guerre».
Un héritage en demi-teinte mais essentiel
Au final, le legs de Jimmy Carter en termes de paix israélo-égyptienne apparaît contrasté mais fondamental. S’il n’a pas réussi à instaurer une amitié entre les deux peuples, il est parvenu à mettre fin à des décennies de guerres ouvertes.
La disparition de cet artisan de paix rappelle que malgré les crises et les tensions, le dialogue et la diplomatie restent les meilleurs remparts contre les conflits. Un message plus que jamais d’actualité au regard des développements récents dans la région.
Entre Israël et l’Egypte, la paix demeure un équilibre délicat, sans cesse menacé mais toujours debout. Un héritage imparfait mais vital, à l’image de l’action diplomatique de Jimmy Carter, à la fois critiquée et saluée, mais incontestablement historique.