Un demi-siècle après la mort du dictateur Francisco Franco, l’Espagne demeure profondément divisée quant à l’héritage de cette sombre période de son histoire. Alors que le gouvernement de gauche du Premier ministre Pedro Sánchez a décidé de commémorer tout au long de l’année les 50 ans de la fin du franquisme et le début de la transition démocratique, cette initiative est loin de faire l’unanimité au sein de la classe politique espagnole.
L’Opposition Boycotte les Cérémonies Officielles
Illustration parfaite des plaies encore béantes près d’un demi-siècle après la fin de la dictature, l’opposition de droite a choisi de boycotter la première cérémonie organisée par l’exécutif ce mercredi. Alberto Núñez Feijóo, leader du Parti Populaire (PP), principale force d’opposition, dénonce une manœuvre opportuniste de Pedro Sánchez visant à détourner l’attention de ses déboires politiques et judiciaires.
Ce programme émane d’un gouvernement qui, dans son désespoir, regarde constamment vers le passé.
Alberto Núñez Feijóo, leader du Parti Populaire
Une posture peu surprenante de la part du PP, héritier d’un parti fondé en 1976 par un ancien ministre de Franco. L’extrême droite de Vox, troisième force politique du pays, boycottera également l’événement.
Une Commémoration qui Divise Aussi la Gauche
Mais les critiques ne viennent pas uniquement de la droite de l’échiquier politique. L’extrême gauche voit dans l’initiative de Pedro Sánchez une « tromperie » masquant le manque de réparations concrètes en faveur des victimes de la dictature. Malgré l’adoption en 2022 d’une « loi de mémoire démocratique » créant notamment un registre des victimes du franquisme, la justice espagnole n’a toujours pas jugé les bourreaux encore en vie, protégés par la loi d’amnistie votée durant la transition.
Le Poids du Passé Franquiste
Comment expliquer que l’héritage de Franco et de la guerre civile continue, 50 ans après, de fracturer si profondément la société espagnole ? Selon Joan María Thomàs, professeur d’histoire contemporaine et spécialiste du franquisme, cela s’explique par la nature même de la transition démocratique espagnole :
Il y a eu un grand accord, mais cet accord fut pour regarder vers l’avenir, sans s’appesantir sur les injustices du passé. Il existe en Espagne une autre mémoire, celle de la partie du pays qui fut franquiste, et qui fut une partie considérable.
Joan María Thomàs, professeur d’histoire contemporaine
Contrairement à d’autres pays européens ayant connu des dictatures comme le Portugal, l’Allemagne ou l’Italie, la fin du franquisme ne fut pas brutale. Franco est mort paisiblement dans son lit en novembre 1975, ouvrant la voie à une transition en douceur. Deux ans plus tard, l’Espagne organisait des élections démocratiques et en 1978, la Constitution actuelle était adoptée.
Se Souvenir pour Mieux Apprécier la Démocratie
Malgré les réticences et les divisions, cette année de commémoration apparaît nécessaire aux yeux de nombreux historiens et citoyens. Se remémorer la mort de Franco et les années noires de la dictature est vu comme un moyen de mesurer le chemin parcouru et d’apprécier à sa juste valeur le régime démocratique espagnol, si durement acquis.
Les Espagnols ne se rendent pas bien compte de l’importance d’avoir recouvré un régime démocratique et d’avoir été capables de le consolider.
Joan María Thomàs, professeur d’histoire contemporaine
Au-delà des polémiques et des réticences politiques, cette année de commémoration offre à l’Espagne l’opportunité d’un nécessaire travail de mémoire. Un exercice parfois douloureux mais indispensable pour panser les plaies du passé et renforcer les fondations démocratiques du pays. Car comme l’écrivait George Santayana, « ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le répéter ».