En ce dimanche ensoleillé de mai, les militants de l’extrême gauche française se sont donnés rendez-vous au domaine de Bellevue à Presles dans le Val-d’Oise pour la traditionnelle Fête de Lutte Ouvrière. Ambiance surannée et nostalgie d’un passé révolu règnent parmi les quelque 30 000 sympathisants venus écouter les ténors du parti, Nathalie Arthaud et Jean-Pierre Mercier, à la veille des élections européennes.
Mais derrière les drapeaux rouges, les portraits de Marx, Lénine et Rosa Luxembourg, et l’atmosphère bon enfant de kermesse militante, la réalité électorale rattrape durement les rêves de révolution. Malgré les envolées lyriques contre le capitalisme et les appels à l’union des travailleurs, les différentes composantes de l’extrême gauche partent en ordre dispersé aux urnes, avec pas moins de trois listes rivales.
Un meeting aux airs de baroud d’honneur
Perchée sur l’estrade, Nathalie Arthaud présente sa liste “Lutte Ouvrière – Faire entendre le camp des travailleurs” sous les vivats du public, réjoui de voir l’ex-candidate à la présidentielle Arlette Laguiller, 84 ans, occuper symboliquement la 81e et dernière position. Les porte-paroles ne se font guère d’illusions sur leurs chances de passer la barre des 5% et d’obtenir des élus, mais justifient cette énième candidature par la nécessité de “lever un drapeau communiste révolutionnaire“.
Même en cas d’union, nous ne sommes pas en mesure de passer les 5%. Notre seul objectif, c’est d’appeler les travailleurs à s’engager dans la lutte.
– Nathalie Arthaud, porte-parole de Lutte Ouvrière
Du côté du public, entre deux passages aux stands de merguez et de littérature politique, on oscille entre fierté de participer à “un des plus grands rassemblements révolutionnaires au monde” et lucidité sur la perte d’influence de l’extrême gauche, notamment dans la jeunesse et les milieux ouvriers.
Quand la jeunesse progressiste bascule à droite
Si les cadres se montrent sceptiques face aux sondages qui donnent une large avance au bloc de droite nationaliste dans l’électorat jeune et populaire, certains militants s’inquiètent de cette tendance. C’est le cas d’Anasse Kazib, jeune cheminot et leader officieux du mouvement “Révolution Permanente”, qui pointe toutefois une radicalisation sur des sujets comme la Palestine, signe d’une jeunesse “en train de s’armer idéologiquement”.
Je pense qu’une liste commune d’extrême gauche aurait motivé électeurs et militants. Les élections ne vont rien changer mais elles auraient pu servir de sondage.
– Anasse Kazib, militant “Révolution Permanente”
L’introuvable union des révolutionnaires
C’est là tout le paradoxe de l’extrême gauche française : appeler à l’unité du prolétariat mais partir divisée à chaque scrutin. Pas moins de trois listes (Lutte Ouvrière, NPA-Révolution et Parti des Travailleurs) se disputeront les maigres suffrages des électeurs révolutionnaires le 26 mai, au grand dam des militants.
Pendant qu’au loin résonnent les derniers accords de l’Internationale, reprise en chœur par une foule clairsemée, les orateurs finissent de ranger le matériel de sonorisation. La 51e Fête de Lutte Ouvrière s’achève, entre espoirs inoxydables et lucidité sur le défi de survie qui attend l’extrême gauche. Rendez-vous est pris pour la prochaine édition, en espérant secrètement que d’ici là, le “grand soir” se sera peut-être enfin levé.