Au cours des onze dernières années, le conflit syrien a contraint plus de la moitié de la population à fuir son foyer. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), ce sont près de 13 millions de Syriens qui ont été déplacés depuis 2011, dont plus de 6 millions ont cherché refuge à l’étranger. La chute récente de Bachar al-Assad soulève aujourd’hui la question d’un éventuel retour massif de ces exilés. Mais après plus d’une décennie d’errance, quelles sont les perspectives réelles ?
Une diaspora syrienne répartie dans le monde
Les pays voisins de la Syrie ont absorbé la majeure partie de cet exode. La Turquie est de loin la première terre d’asile, accueillant plus de 3 millions de réfugiés syriens fin 2024, soit 3,5% de sa population. Elle est suivie par le Liban (783 000 réfugiés, 14,8% de la population), la Jordanie (632 000, 5,75%), l’Irak (287 000, 0,64%) et l’Égypte (158 000, 0,15%).
En Europe, l’Allemagne s’est distinguée en ouvrant largement ses portes. Elle recensait 781 000 réfugiés ou demandeurs d’asile syriens en 2024, soit près de 1% de sa population. Les Pays-Bas (79 000, 0,44%) et la Suède (87 700, 0,87%) ont également accueilli un nombre significatif de Syriens proportionnellement à leur population. La France dénombrait quant à elle 45 600 réfugiés syriens en 2024, soit 0,07% de sa population.
L’Allemagne, destination privilégiée en Europe
Selon Hélène Thiollet, chercheuse au CNRS et spécialiste des migrations, la plupart des Syriens ne souhaitaient pas initialement quitter la Turquie. Beaucoup espéraient un retour rapide. Mais avec la poursuite de la guerre et les restrictions croissantes, ils ont commencé à envisager une installation plus pérenne ailleurs.
L’Allemagne s’est alors imposée comme destination. Pays vieillissant en quête de main-d’œuvre, elle s’est trouvée au débouché de la route des Balkans. La chancelière Angela Merkel a aussi affirmé sa capacité à les accueillir. Des dispositifs d’intégration par l’emploi, comme des cours de langue ou des équivalences de diplômes, ont été mis en place. Résultat : plus de 222 000 Syriens travaillent aujourd’hui en Allemagne.
Un potentiel retour qui soulève de nombreux défis
L’accueil massif des réfugiés syriens dans les pays limitrophes a parfois créé des tensions. Certains ont été victimes de violences et leur présence est devenue un enjeu politique, allant jusqu’à des menaces d’expulsion. En Europe aussi, plusieurs pays envisagent de suspendre l’asile accordé aux Syriens.
Mais si tous les exilés devaient rentrer, ce sont 13 millions de personnes qui seraient concernées. Pour Hélène Thiollet, aucun pays n’a jamais eu à gérer des déplacements d’une telle ampleur en si peu de temps. C’est un défi monumental qui nécessitera une aide internationale massive.
La question ne se limite pas au retour des exilés, mais à comment un pays ravagé par la guerre et quasiment sans infrastructures peut réintégrer sa population.
– Hélène Thiollet
Au-delà des aspects matériels (logement, services, eau), la question de la légitimité du nouveau gouvernement syrien et de la normalisation des relations internationales sera cruciale pour permettre au pays de recevoir l’aide nécessaire à la reconstruction et à l’accompagnement des retours.
Hélène Thiollet souligne néanmoins que plus les réfugiés sont intégrés dans leur pays d’accueil, moins ils seront enclins à rentrer précipitamment en Syrie. Ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose pour l’Europe, les plus qualifiés et les mieux intégrés étant les plus susceptibles de rester. En Allemagne, les autorités sanitaires s’inquiètent d’ailleurs d’un potentiel départ des médecins syriens, devenus essentiels dans de nombreux hôpitaux.
Après plus de dix ans d’exil, les réfugiés syriens font face à un avenir incertain. Si la chute du régime de Bachar al-Assad ouvre théoriquement la voie à leur retour, les défis restent immenses pour permettre à ce pays dévasté de réintégrer une part si importante de sa population. Une reconstruction qui prendra du temps et qui nécessitera une mobilisation et une solidarité internationales à la hauteur du défi.