Près de quatre mois après le coup d’État militaire qui a porté au pouvoir le général Brice Oligui Nguema, le Gabon connaît un nouvel assouplissement des mesures sécuritaires. Un décret officiel lu mercredi à la télévision publique a en effet annoncé la levée « jusqu’à nouvel ordre » du couvre-feu imposé depuis fin août 2023. Cette décision, présentée comme un geste permettant à la population de « célébrer les fêtes de fin d’année », intervient cependant dans un contexte de vives critiques à l’encontre des forces de l’ordre.
Le même décret appelle ainsi les forces de défense et de sécurité à « assurer l’ordre et la sécurité dans le respect de l’état de droit ». Un rappel qui fait directement écho à une récente « opération coup de poing » de la gendarmerie nationale, ayant suscité l’indignation sur les réseaux sociaux. Dans la nuit de samedi à dimanche, plusieurs dizaines de jeunes ont été interpellés à Libreville pour violation du couvre-feu, certains se plaignant d’avoir été tondus de force à cette occasion.
Des sanctions extra-judiciaires qui passent mal
La tonsure punitive n’est pas une nouveauté depuis le putsch du 30 août 2023. Elle a déjà été imposée à un adolescent auteur d’une vidéo virale jugée outrageante envers le chef de l’État, à des groupes de jeunes accusés de semer la peur à Port-Gentil, ainsi qu’à des syndicalistes ayant appelé à la grève pour des revendications salariales. Des sanctions extra-judiciaires qui suscitent un malaise grandissant au sein de la population.
Le renforcement début octobre du couvre-feu, pourtant allégé pendant quelques mois, avait aussi alimenté l’impatience, notamment chez les amateurs de sorties tardives. Certains secteurs économiques en subissaient également l’impact. En décidant aujourd’hui de lever cette mesure, « le chef de l’État veut offrir l’opportunité à l’ensemble de ses concitoyens de célébrer les fêtes de fin d’année » selon le décret, mais aussi « accompagner les opérateurs économiques de tous les secteurs ».
Une transition politique qui se précise
La levée du couvre-feu et le recadrage des forces de sécurité interviennent alors que le processus de transition politique post-putsch semble s’accélérer. Mi-novembre, l’adoption par référendum d’une nouvelle Constitution a été suivie par l’ouverture de consultations en vue d’une révision du code électoral. Des élections présidentielle, législatives et locales sont prévues en 2025 pour clore la période de transition ouverte par le renversement de la dynastie Bongo.
Si le général Oligui a promis de rendre le pouvoir aux civils, il ne cache pas pour autant ses propres ambitions présidentielles. L’apaisement du climat sécuritaire et l’accompagnement du tissu économique apparaissent donc comme des enjeux cruciaux pour asseoir sa légitimité. Reste à savoir si le changement de ton affiché suffira à faire oublier les dérives des premiers mois, et surtout, à garantir la tenue d’un scrutin libre et démocratique dans deux ans.
Des défis multiples pour la junte au pouvoir
Au-delà de l’organisation des futures échéances électorales, la junte militaire doit faire face à de nombreux défis. Sur le plan économique tout d’abord, avec un pays affecté par la chute des cours du pétrole, principale ressource du Gabon. La pandémie de Covid-19 a aussi durement touché le secteur touristique. Des réformes structurelles apparaissent indispensables pour diversifier l’économie et améliorer le quotidien d’une population qui vit encore largement sous le seuil de pauvreté.
Le volet social sera un autre test majeur. Le ras-le-bol exprimé par la jeunesse gabonaise, premières cibles des restrictions sécuritaires, traduit des attentes fortes en termes d’emploi, de formation et de libertés. Faire émerger de nouvelles perspectives pour cette génération « sacrifiée » sera essentiel pour consolider la paix à long terme.
Enfin, sur le plan politique, il s’agira de réussir le pari d’une véritable ouverture démocratique, dans un pays habitué à la confiscation du pouvoir par un clan. L’ampleur de la tâche est immense pour refonder les institutions, assainir le jeu électoral, favoriser le pluralisme… Autant de chantiers titanesques qui attendent le Gabon, bien au-delà de la seule levée du couvre-feu. Les mois à venir diront si la junte est prête à créer les conditions d’une alternance pacifique et durable.