Alors que l’Iran fait face à de multiples défis sur les plans économique et social, les autorités ont pris la décision le 24 décembre dernier de lever l’interdiction qui pesait sur l’application de messagerie WhatsApp et sur Google Play depuis plus de deux ans. Une mesure qui intervient dans un contexte particulièrement tendu, quelques mois après les importantes manifestations qui ont secoué le pays suite à la mort de Mahsa Amini, une jeune femme arrêtée pour non-respect du code vestimentaire strict.
Une ouverture en demi-teinte
Si le rétablissement de l’accès à WhatsApp et Google Play constitue indéniablement un assouplissement des restrictions numériques en Iran, de nombreux internautes et experts soulignent les limites de cette décision. En effet, d’autres plateformes majeures comme Instagram, Telegram, Facebook ou YouTube demeurent inaccessibles sans l’utilisation d’un VPN.
Cela ne change pas grand-chose pour moi, car je dois toujours acheter et utiliser des VPN pour Instagram, Telegram et d’autres plateformes.
témoigne Ardavan Youssefi, patron d’un café à Téhéran
Plus de 80% des internautes iraniens ont ainsi recours à des logiciels de contournement des blocages selon le vice-ministre des Télécommunications. Une situation qui soulève des questions sur la portée réelle de cette ouverture partielle.
Une mesure à visée politique ?
D’après certains observateurs, la levée de l’interdiction de WhatsApp et Google Play serait avant tout destinée à apporter « un minimum de satisfaction dans l’opinion » dans un contexte économique et social particulièrement difficile.
Le déblocage de Google Play ne constitue pas une menace significative pour la stabilité de la République islamique, car ce n’est pas une plateforme de dissidence politique.
analyse Amir Rashidi, directeur des droits numériques du groupe Miaan
Il en va de même pour WhatsApp, jugée moins populaire et moins « dangereuse » que d’autres applications comme Telegram ou Instagram, qui avaient été accusées par l’ancien président Ebrahim Raïssi de fomenter la contestation.
L’impact des restrictions sur l’économie et les libertés
Au-delà des enjeux politiques, le contrôle d’internet et les blocages récurrents pèsent lourdement sur l’économie iranienne déjà fragilisée par les sanctions internationales. Les restrictions entravent les communications et les activités en ligne, forçant les entreprises et les particuliers à recourir à des solutions coûteuses pour contourner la censure.
Il y a des problèmes bien plus importants qui doivent être résolus.
souligne Elaheh Khojasteh, une entraîneure de sport à Ahvaz
Malgré l’engagement du président Massoud Pezeshkian d’assouplir les restrictions sur internet, de nombreux Iraniens demeurent sceptiques quant à une réelle ouverture, la jugeant incompatible avec le maintien du régime en place. La question des libertés numériques cristallise ainsi les tensions entre aspirations de la population et volonté de contrôle des autorités.
Vers un accès plus large à internet ?
Le ministre des Télécommunications Sattar Hashemi a présenté le rétablissement de WhatsApp et Google Play comme « une première étape » vers un accès internet plus large en Iran. Le gouvernement envisagerait ainsi de débloquer YouTube et Telegram, mais via des « portails gérables » permettant de contrôler les contenus.
C’est déjà un bon signe.
se réjouit Amir Heidari, développeur de logiciels à Téhéran
Néanmoins, cette perspective est accueillie avec prudence par une partie de la population échaudée par des années de promesses non tenues et de libertés numériques en dents de scie. Pour beaucoup, seule la levée totale des restrictions, sans condition, constituerait un véritable progrès.
La décision des autorités iraniennes de rétablir l’accès à WhatsApp et Google Play, si elle représente une avancée, est loin de faire l’unanimité dans un pays en proie à de vives tensions. Entre nécessité économique et volonté de garder la main sur les réseaux sociaux, le pouvoir navigue sur une ligne de crête périlleuse. Les prochains mois diront si cette ouverture partielle est le signe d’un réel changement de cap ou une simple manœuvre pour calmer la gronde sociale. Une chose est sûre : la question des libertés numériques, intimement liée aux enjeux politiques et sociaux, continuera de cristalliser les débats en Iran.