Le très controversé accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) continue de diviser le Vieux Continent. Alors que la France et plusieurs autres États membres s’y opposent fermement, certains y voient au contraire une opportunité économique à saisir. Les tensions s’exacerbent à l’approche de la date prévue pour la signature du traité, en décembre prochain à Montevideo.
La colère gronde chez les agriculteurs européens
Depuis l’annonce de cet accord, la gronde ne cesse de monter chez les agriculteurs européens, en particulier en France. Ils craignent une concurrence déloyale des produits sud-américains, soumis à des normes environnementales et sanitaires moins strictes. Le week-end dernier, pas moins de 85 manifestations ont été organisées dans l’Hexagone pour dénoncer ce traité qualifié d’« inacceptable » par le président Emmanuel Macron.
La France ne signera pas l’accord avec le Mercosur en l’état
Emmanuel Macron, Président de la République française
Un front du refus élargi en Europe
La France n’est pas seule dans ce combat. La Belgique, par la voix de son ministre fédéral de l’Agriculture, a également fait part de ses réserves, exigeant des “clauses miroirs” contraignantes en matière de respect des droits des travailleurs et de l’environnement. L’Italie aussi juge le traité « inacceptable » en l’état, selon son ministre de l’Agriculture Francesco Lollobrigida.
Mais des partisans voient une opportunité à saisir
À l’inverse, l’Autriche et la Suède continuent de défendre cet accord, y voyant un levier pour doper les exportations européennes. D’après une source proche du gouvernement autrichien, ce traité représenterait « une opportunité européenne pour contrer le protectionnisme des États-Unis ou de la Chine ». Côté suédois, on souligne que l’accord ouvrirait « de meilleures opportunités d’exportation » aux agriculteurs du Vieux Continent.
Un bras de fer diplomatique en perspective
En coulisses, une intense bataille diplomatique fait rage. Pour bloquer l’accord, Paris doit rallier à sa cause au moins 4 pays représentant 35% de la population européenne. Un seuil élevé qui rend l’issue plus qu’incertaine. Emmanuel Macron met toute son énergie dans ce bras de fer, multipliant les échanges avec ses homologues.
Il faut revoir ce traité pour y intégrer nos exigences environnementales et sociales. C’est une question de souveraineté et de protection de nos agriculteurs.
Une source diplomatique française
Un test pour la souveraineté européenne
Au-delà de ses implications commerciales, ce dossier est devenu un véritable test pour la souveraineté et la cohésion européenne. Signer ce traité en l’état reviendrait, pour ses détracteurs, à brader les standards du Vieux Continent sur l’autel du libre-échange à tout prix. Autoriser un tel “dumping” environnemental et social serait vu comme une capitulation en porte-à-faux avec l’ambition d’une Europe plus verte et plus juste.
Mais ses partisans, eux, plaident pour ne pas se couper des immenses marchés sud-américains, au risque de laisser la place à des puissances moins regardantes comme la Chine. Ils mettent aussi en avant les potentielles retombées positives, comme la baisse des prix pour le consommateur et les débouchés pour les entreprises européennes.
Vers un accord a minima ou une renégociation ?
Face à ces positions difficilement conciliables, plusieurs options sont sur la table. Certains évoquent la possibilité d’un accord a minima, qui laisserait de côté les points les plus controversés comme la libéralisation des produits agricoles.
D’autres plaident pour une renégociation en profondeur du texte, afin d’y intégrer des “clauses miroirs” contraignantes en matière environnementale et de respect des droits humains. Mais le Mercosur acceptera-t-il de se plier à de telles exigences ? Rien n’est moins sûr.
Enfin, dernière option, un rejet pur et simple de l’accord, qui signerait l’échec de plus de 20 ans de négociations et porterait un coup dur à la crédibilité commerciale de l’UE. Mais c’est peut-être le prix à payer pour protéger le modèle agricole européen et éviter une nouvelle crise dans les campagnes.
L’Europe à la croisée des chemins
La décision finale sera lourde de conséquences et dira beaucoup de la vision que l’Europe a d’elle-même et de sa place dans le monde. Veut-elle être une puissance commerciale ouverte quitte à mettre en danger son modèle social et environnemental ? Ou préfère-t-elle affirmer sa différence en défendant une mondialisation plus régulée et plus durable, même au prix de quelques opportunités économiques ?
Les prochaines semaines s’annoncent décisives et le sommet européen de décembre promet d’âpres discussions. D’ici là, la mobilisation des opposants à l’accord ne faiblit pas, à l’image de ces centaines d’agriculteurs qui prévoient de se rassembler début décembre à Strasbourg lors de la session du Parlement européen.
Une chose est sûre : la bataille ne fait que commencer et son issue est plus qu’incertaine. L’Europe joue gros sur ce dossier et ne peut se permettre une nouvelle crise interne après le psychodrame du Brexit et les tensions liées à la pandémie. L’heure est venue de trancher et de choisir quel visage elle veut montrer au monde.