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L’Espagne Veut Contrer les Fake News des Influenceurs

L'Espagne veut donner le pouvoir aux citoyens de rectifier les publications trompeuses des influenceurs. Une initiative pionnière pour assainir le débat public en ligne et contrer la manipulation de l'information. Le gouvernement est déterminé à agir, mais le texte devra d'abord être adopté par le Parlement. Affaire à suivre...

Le gouvernement espagnol a dévoilé mardi un projet de loi ambitieux et sans précédent visant à endiguer la propagation de fausses informations sur les réseaux sociaux. Cette initiative pionnière en Europe permettrait aux citoyens de faire rectifier directement les publications trompeuses des influenceurs comptant plus de 100 000 abonnés.

En présentant ce texte novateur, le ministre de la Justice Félix Bolaños a pointé du doigt les « professionnels de la rumeur et du mensonge qui, tous les jours, salissent notre débat public ». Un constat alarmant qui a poussé l’exécutif à agir pour s’attaquer à ce fléau de notre époque et « adapter le droit à la réalité du 21e siècle ».

Un mécanisme simple pour rétablir la vérité

Concrètement, le projet de loi obligera les créateurs de contenu et influenceurs dépassant certains seuils d’audience (100 000 abonnés sur un réseau ou 200 000 au total) à mettre en place « un mécanisme facile et accessible » permettant à chaque citoyen d’exercer son droit de rectification. Une procédure simplifiée, car il ne sera plus nécessaire de s’adresser directement au directeur de la publication comme c’est le cas actuellement.

De plus, le délai pour demander une rectification sera allongé, passant de 7 à 10 jours. Une mesure de bon sens pour donner plus de temps et de latitude au public face à la viralité des contenus en ligne. Car comme l’a souligné le ministre Bolaños, il faut « être conscient de l’impact que les rumeurs et les fausses nouvelles exercent dans toutes les démocraties ».

Un soutien des associations de consommateurs

L’initiative du gouvernement espagnol a reçu un accueil favorable de la part des associations de défense des consommateurs. La Facua, l’une des principales organisations du pays, a salué dans un communiqué cette proposition « nécessaire » pour garantir une « protection juridique » aux personnes concernées par des « informations inexactes ou fausses ». Au-delà du droit à l’honneur, il s’agit aussi de leur donner les moyens d’« exiger la publication de leurs versions » des faits.

Un engagement de longue date contre la désinformation

Ce projet de loi s’inscrit dans le cadre d’un plan plus vaste de « renouvellement démocratique », dévoilé en septembre dernier par le Premier ministre Pedro Sánchez. Une feuille de route ambitieuse qui doit être déployée progressivement d’ici la fin de la législature dans trois ans. Parmi la trentaine de mesures annoncées figurent notamment la création d’un registre public des médias (recensant leurs propriétaires et leurs revenus publicitaires) ou encore le renforcement du droit à la vie privée.

Cette volonté affichée de lutter contre la désinformation fait écho à une actualité récente, puisque l’épouse du chef du gouvernement Begoña Gómez fait elle-même l’objet d’une enquête pour corruption et trafic d’influence. À l’origine de cette affaire, la plainte d’un collectif proche de l’extrême droite qui a admis s’être appuyé sur des « informations de presse non vérifiées ». Preuve s’il en fallait que la manipulation de l’information n’épargne personne, pas même les plus hautes sphères du pouvoir.

La délicate question de la liberté d’expression

Si le principe d’un droit de rectification renforcé semble faire consensus, certaines voix s’inquiètent malgré tout d’un possible impact sur la liberté d’expression. Car obliger les influenceurs et créateurs de contenus à rectifier leurs propos, n’est-ce pas une forme de censure ? Une crainte légitime, mais à nuancer selon les experts juridiques. Pour eux, dès lors que ce dispositif est encadré et qu’il ne porte que sur des éléments factuels, le risque d’abus ou de dérive est limité.

« Aucune liberté n’est absolue, pas même celle d’expression. Elle doit toujours être mise en balance avec d’autres droits fondamentaux comme le droit à l’information ou à la dignité. C’est tout l’enjeu de ce texte : trouver un équilibre entre ces différents impératifs. »

– Un constitutionnaliste interrogé par un grand média espagnol

Il faudra donc suivre de près les débats parlementaires à venir, pour voir si les députés parviennent à concilier ces différents enjeux. Et surtout, pour vérifier que ce nouveau droit de rectification en ligne ne se transforme pas en outil de pression ou d’intimidation envers des influenceurs et personnalités publiques. Un écueil qui semble avoir été anticipé par le gouvernement, puisque le projet de loi prévoit des sanctions en cas de demandes « manifestement infondées ou excessives ».

Un texte pionnier en Europe

Si le Parlement donne son feu vert, l’Espagne deviendra le premier pays européen à se doter d’une législation aussi ambitieuse en matière de lutte contre la désinformation sur les réseaux sociaux. Une avancée majeure qui sera scrutée de près par les autres États membres, eux aussi confrontés à la déferlante des fake news et à leurs conséquences délétères sur le débat démocratique.

D’autant que Bruxelles planche actuellement sur un vaste plan de régulation des géants du numérique, le Digital Services Act, qui devrait justement aborder ces questions. Avec ce projet de loi novateur, Madrid prend donc une longueur d’avance et pourrait inspirer d’autres initiatives du même type à l’échelle du continent. À condition bien sûr de réussir son pari et de montrer que ce nouveau droit est efficace et applicable sur le terrain.

Les prochains mois s’annoncent donc décisifs pour l’avenir de la démocratie numérique en Espagne et au-delà. Un défi immense, à la hauteur des enjeux de notre époque connectée où l’information, et la désinformation, circulent à la vitesse de la lumière. En donnant aux citoyens de nouveaux outils pour se défendre face aux dérives des réseaux sociaux, le gouvernement espagnol ouvre la voie à une refondation salutaire de notre espace public en ligne. Tout l’enjeu est désormais de transformer l’essai, en conciliant droits des individus et liberté d’expression. Un équilibre subtil, mais nécessaire pour préserver le fragile écosystème de nos démocraties à l’ère du tout-numérique.

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