Après des semaines de bras de fer au sein de la coalition au pouvoir, les députés espagnols ont finalement adopté ce jeudi un ensemble de mesures fiscales jugées cruciales par le gouvernement de Pedro Sánchez. Au cœur des débats : la création d’un nouvel impôt sur les commissions bancaires, censé remplacer une surtaxe temporaire qui devait prendre fin cette année.
Malgré une courte majorité de 178 voix sur 249, le texte a réussi à passer l’épreuve du vote après d’intenses tractations entre l’exécutif socialiste, en position minoritaire au Parlement, et ses alliés. Un soulagement pour Pedro Sánchez, qui a salué le choix de la « justice fiscale » et la volonté de demander « un peu plus d’effort » aux banques pour « financer les services publics ».
Un taux minimum pour les multinationales, une hausse pour les hauts revenus
Au-delà de la question épineuse de la fiscalité bancaire, ce paquet législatif contient plusieurs autres mesures phares :
- L’instauration d’un taux d’imposition minimum de 15% pour les multinationales, une disposition nécessaire pour se mettre en conformité avec le droit européen. Bruxelles réclamait cette évolution en échange du versement des prochaines tranches du fonds de relance post-Covid « NextGeneration ».
- Une augmentation de la fiscalité sur le tabac, une mesure de santé publique visant aussi à renflouer les caisses de l’État.
- Une hausse de l’imposition sur les hauts revenus, dans une logique de redistribution et de solidarité en temps de crise.
En revanche, le gouvernement a dû renoncer à plusieurs propositions qui divisaient sa majorité disparate, comme la création d’un impôt spécifique sur les biens de luxe, la hausse des taxes sur le diesel ou encore la pérennisation d’une taxe exceptionnelle sur les profits des grands groupes énergétiques.
Des divergences jusqu’au bout entre partenaires de la coalition
Ces arbitrages de dernière minute illustrent les profondes divergences qui traversent la coalition hétéroclite rassemblée autour de Pedro Sánchez. D’un côté, le parti indépendantiste catalan Junts, proche des milieux d’affaires, s’opposait aux nouvelles taxes. De l’autre, les formations d’extrême gauche comme Sumar et Podemos réclamaient au contraire un tour de vis fiscal encore plus sévère.
Selon une source gouvernementale, il aura fallu « de nombreuses heures de travail » en coulisses pour rapprocher les positions et accoucher d’un texte de compromis. Selon cette source, l’exécutif a notamment dû accepter de reporter le débat sur l’avenir de la taxe sur les groupes énergétiques à un prochain projet de loi, afin de ne pas braquer certains alliés.
Il a fallu de nombreuses heures de travail pour convaincre ces partis de se mettre d’accord sur un texte commun, mais cela a finalement porté ses fruits.
Maria Jesus Montero, ministre du Budget
Un test pour la solidité de la majorité avant les élections
Au-delà de son contenu, l’adoption de ce projet de loi constitue surtout un test grandeur nature pour la solidité de la coalition gouvernementale, à un an des prochaines élections législatives. Affaibli dans les sondages, confronté à une opposition de droite remontée, Pedro Sánchez joue gros dans cette fin de mandat.
L’enjeu pour le dirigeant socialiste est de prouver qu’il est capable, malgré sa majorité relative au Parlement, de continuer à gouverner et à faire voter des réformes significatives. Un défi d’autant plus ardu que les partenaires de la coalition, des indépendantistes catalans à l’extrême gauche, ont peu d’intérêts communs au-delà de leur volonté partagée d’empêcher un retour de la droite au pouvoir.
Dans ce contexte, chaque vote législatif important se transforme en épreuve de force et en marchandage intense, comme l’a encore montré l’adoption heurtée de ce paquet fiscal. Pedro Sanchez parviendra-t-il, d’ici la fin de la législature, à maintenir la cohésion de cette improbable armada ? C’est tout l’enjeu des prochains mois pour la gauche espagnole, qui rêve malgré tout de conserver le pouvoir lors des élections de fin 2023.