Imaginez Paris sans ses célèbres toits en zinc, élégamment ornés et minutieusement entretenus depuis des générations. Difficile, n’est-ce pas ? C’est pourtant ce savoir-faire ancestral, transmis de maître à apprenti, qui vient d’être reconnu par l’UNESCO et inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Une consécration pour les couvreurs-zingueurs et ornemanistes parisiens, véritables artisans de l’ombre qui façonnent la canopée urbaine de la capitale.
Un héritage du XIXe siècle aujourd’hui menacé
Nés lors des grands travaux haussmanniens qui ont redessiné Paris, ces métiers d’art ont connu leur âge d’or grâce à l’industrialisation qui a rendu l’ardoise et le zinc plus abordables. Résultat, près de 80% des toits parisiens arborent aujourd’hui cette teinte grise caractéristique. Mais derrière cette apparente uniformité se cache un savoir-faire d’excellence, comparable à de la haute-couture selon les professionnels.
Car être couvreur-zingueur ou ornemaniste, c’est maîtriser des gestes précis, utiliser les bons matériaux, connaître les techniques de pose et de restauration sur le bout des doigts. Un art qui se transmet de génération en génération mais qui peine aujourd’hui à attirer de nouvelles recrues. Le métier souffre en effet d’un déficit d’image et d’un manque de visibilité, les artisans œuvrant loin des regards, perchés sur les toits.
Une profession en quête de relève
D’après les estimations du Syndicat des entreprises de génie climatique et couverture plomberie, il manquerait aujourd’hui plus de 500 couvreurs-zingueurs rien que pour répondre aux besoins de réfection des toits parisiens. Un chiffre qui devrait encore augmenter dans les prochaines années, avec de nombreux départs à la retraite.
Ce que l’on voulait d’abord, c’était faire connaître le geste, faire connaître ce métier qui se transmet de génération en génération
Mériadec Aulanier, délégué général du Syndicat des entreprises de génie climatique et couverture plomberie
En obtenant la reconnaissance de l’UNESCO, les professionnels espèrent ainsi redorer le blason de leur métier et susciter des vocations. Car les toits de Paris ont besoin de ces mains expertes pour continuer à briller et à protéger les Parisiens, comme ils le font depuis plus de 150 ans.
Des artisans aux premières loges du changement climatique
Mais les couvreurs-zingueurs et ornemanistes sont aujourd’hui confrontés à un nouveau défi de taille : l’adaptation au changement climatique. Avec la multiplication des épisodes caniculaires, les toits parisiens se transforment en véritables « bouilloires thermiques » l’été, mettant à rude épreuve les habitants des chambres de bonne directement sous les toits.
Pour faire face, de nouvelles solutions émergent : isolation renforcée, pose de stores extérieurs, de revêtements clairs pour augmenter l’albédo (capacité à réfléchir le rayonnement solaire) ou encore végétalisation. Autant de techniques que les couvreurs doivent désormais maîtriser, sans pour autant dénaturer l’esthétique des toits parisiens.
Les toits sont à l’avant-poste du changement climatique, car leur adaptation se met en confrontation avec l’esthétique et le patrimoine
Alexandre Florentin, conseiller du groupe écologiste à la mairie de Paris
Un véritable casse-tête pour la profession, qui doit concilier préservation du patrimoine et rénovation thermique des bâtiments. Mais les artisans l’assurent, ils sauront s’adapter, comme ils l’ont toujours fait au fil des époques et des modes architecturales.
Notre-Dame, symbole d’un savoir-faire d’exception
Le meilleur exemple de cette capacité d’adaptation ? La reconstruction de la cathédrale Notre-Dame, gravement endommagée par un incendie en 2019. Sur ce chantier titanesque, les compagnons couvreurs-zingueurs et ornemanistes démontrent toute l’étendue de leur savoir-faire, restaurant ce joyau du patrimoine dans les règles de l’art.
Un défi qui illustre parfaitement la place à part qu’occupent ces métiers d’art dans le paysage parisien. Car derrière chaque toit en zinc se cache une histoire, celle d’hommes et de femmes de l’ombre qui façonnent, depuis des générations, le visage de la capitale. Une œuvre collective et discrète, enfin mise en lumière par la reconnaissance de l’UNESCO.
Paris sans ses toits, c’est Paris sans sa tour Eiffel
Alors la prochaine fois que vous lèverez les yeux au ciel dans les rues de Paris, prenez le temps d’admirer ces toits gris qui ondulent à perte de vue. Et ayez une pensée pour ces artisans qui, dans l’ombre, œuvrent à la préservation de ce patrimoine unique au monde. Car comme le résume si bien Delphine Bürkli, maire du 9e arrondissement : « Paris sans ses toits, c’est Paris sans sa tour Eiffel ». Un héritage précieux, à chérir et à transmettre.