Imaginez un monde où les livres sont traqués, censurés, arrachés des étagères des bibliothèques et des librairies. Un cauchemar dystopique ? Non, c’est la réalité actuelle en Afghanistan, où les autorités talibanes ont déclaré la guerre aux ouvrages jugés “non-islamiques” ou critiques de leur pouvoir.
400 titres interdits, des libraires sous pression
Depuis leur retour au pouvoir en août 2021, les talibans mènent une véritable chasse aux sorcières littéraire. Le ministère de l’Information et de la Culture, chargé d’appliquer strictement la loi islamique, a récemment annoncé avoir dressé une liste noire de 400 livres. Leur crime ? Contrevenir aux valeurs islamiques et afghanes, selon le régime.
Des milliers d’exemplaires ont déjà été saisis dans des librairies à travers le pays, notamment lors de la première année de pouvoir taliban, puis de nouveau ces derniers mois. Les éditeurs et libraires, terrorisés, n’osent plus s’exprimer librement.
Il y a énormément de censure, c’est très dur de travailler alors que la peur règne.
Un éditeur de Kaboul sous couvert d’anonymat
Des auteurs internationaux dans le collimateur
Parmi les ouvrages proscrits figurent des œuvres d’auteurs renommés comme “Jésus, fils de l’homme” du Libano-Américain Khalil Gibran ou “Le crépuscule des dieux de la steppe” du Franco-Albanais Ismaïl Kadaré. Même un livre de l’ex-ministre afghan de l’Éducation Mirwais Balkhi est banni pour “propagande négative”.
Un contrôle draconien aux frontières
Les autorités talibanes exercent un contrôle strict des livres importés, notamment en provenance d’Iran, l’un des principaux fournisseurs de l’Afghanistan. Au poste-frontière d’Islam Qala, des agents zélés inspectent minutieusement chaque ouvrage :
- Livres contrevenant à la religion ou critiquant les autorités
- Ouvrages comportant des images d’êtres vivants (personnes, animaux), désormais interdites
- Lors d’une saisie, pas moins de 28 cartons de livres ont été “retoqués”
Face à ces contrôles intransigeants, les importateurs n’ont guère le choix : éviter les livres “sensibles” ou les retourner à l’expéditeur, sous peine de tout perdre.
Des bibliothèques expurgées, des libraires inquiets
Dans les villes afghanes, l’atmosphère est lourde. Les livres aux couvertures ornées de photographies sont encore en vente, mais pour combien de temps ? À Hérat, des ouvrages ont déjà été retirés des rayons, comme une “Histoire des groupes jihadistes en Afghanistan”. Dans le nord du pays, des inspecteurs font des descentes chez les libraires, retirant tout livre d’auteur étranger.
Certains libraires tentent tant bien que mal d’écouler leurs stocks au plus vite, proposant notamment des classiques de littérature russe à prix cassés. Mais la demande est faible, l’autocensure et la peur dominent.
Vers un Afghanistan sans livres, sans culture ?
Cette offensive tous azimuts contre les livres “subversifs” fait craindre le pire pour l’avenir culturel déjà fragile de l’Afghanistan. Sous couvert d’appliquer la loi islamique, les talibans instaurent un véritable contrôle de la pensée, étouffant toute diversité intellectuelle.
Dans un pays encore meurtri par des décennies de conflits, où l’accès à l’éducation et à la culture est un enjeu crucial, cette répression littéraire apparaît comme une nouvelle pierre tombale sur les espoirs de liberté et d’ouverture des Afghans. Jusqu’où ira cette logique liberticide ? L’Afghanistan est-il condamné à devenir une nation sans livres, sans âme ?
Face à cette dérive autoritaire, la communauté internationale, les défenseurs des droits humains et de la liberté d’expression doivent plus que jamais se mobiliser. Car laisser les talibans écrire seuls l’histoire et l’avenir de l’Afghanistan, c’est accepter que la lumière de la connaissance et de la culture s’éteigne à jamais sur ce pays martyrisé.