Depuis les hauteurs du mont Qassioun surplombant Damas, de nombreux Syriens savourent à nouveau la vue imprenable sur leur capitale, un panorama dont ils étaient privés depuis plus d’une décennie. Pendant toutes les années de guerre déclenchée en 2011, l’ancien régime de Bachar al-Assad avait interdit l’accès à ce site stratégique. Mais depuis la chute du dictateur en décembre dernier, les habitants se pressent en masse pour contempler le spectacle de Damas « vue du ciel », ses bâtiments illuminés contrastant avec les cicatrices laissées par le conflit dans les banlieues pauvres.
Un vent de liberté souffle sur les hauteurs de Damas
Dès le crépuscule, une longue file de véhicules serpente péniblement sur la route menant au sommet du mont Qassioun. Les visiteurs y sont accueillis par une corniche festive, éclairée par des lampions multicolores. Certains dégustent des encas et des boissons chaudes en musique, pendant que d’autres immortalisent l’instant en enchaînant les selfies devant la vue à couper le souffle. Les soirs de chance, des feux d’artifice illuminent même le ciel de la capitale syrienne.
Pour Afaf Mohamed, une dentiste trentenaire, c’est un grand moment. Juste après la chute d’Assad, elle s’est empressée de monter sur le mont Qassioun pour admirer le lever du soleil sur Damas, un spectacle dont elle était privée depuis 13 ans. Elle confie avoir ressenti une émotion indescriptible, savourant cette « liberté phénoménale » de pouvoir à nouveau accéder à cet espace public autrefois interdit.
Le mont Qassioun, un site stratégique enfin rendu aux civils
Situé en hauteur, le mont Qassioun offre en effet une vue imprenable à 180 degrés sur Damas, et en particulier sur les bâtiments officiels comme les palais présidentiels. C’est la raison pour laquelle l’ancien régime en avait interdit l’accès aux civils, craignant qu’il ne serve de poste d’observation pour des tireurs embusqués. Ironie du sort, c’est aussi depuis cette position que l’artillerie de l’armée syrienne a pilonné pendant des années les localités tenues par la rébellion aux portes de la capitale.
Mais désormais, une atmosphère bon enfant règne sur le site, reflétant l’air de liberté qui souffle sur la Syrie depuis la chute du régime honni. Finie l’omniprésence étouffante des militaires dans les rues et les restrictions des autorités sur l’espace public. Sous le regard bienveillant des nouvelles forces de sécurité, on peut voir des jeunes fumer le narguilé, un groupe d’amis chanter et danser, ou encore un garçon jouer d’un instrument traditionnel.
Oublier les soucis du passé et renouer avec un site emblématique
Mohammad Yehia, un quadragénaire, a lui aussi retrouvé avec bonheur le chemin du mont Qassioun, où il avait l’habitude d’emmener son fils quand il était petit. Dès le lendemain de la chute d’Assad, il a pu lui faire redécouvrir ce lieu emblématique dont il ne gardait que de vagues souvenirs. M. Yehia connaît bien l’endroit pour y avoir travaillé autrefois, servant thé et en-cas aux visiteurs depuis son camion aménagé. La fermeture du site l’avait privé de son gagne-pain, un coup dur dans un pays en plein effondrement économique où 90% de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté.
Cet endroit, c’est le seul où les habitants de Damas peuvent venir pour souffler un peu. La vue spectaculaire nous fait oublier les soucis du passé.
Mohammad Yehia, habitant de Damas
Pour la soeur d’Afaf, Malak, revenir ici pour la première fois depuis l’enfance a aussi été une immense joie, comme si elle « récupérait l’intégralité de son pays ». Autrefois privées de tout, les deux soeurs savourent ce vent de liberté qui souffle à nouveau sur la Syrie meurtrie par plus d’une décennie de guerre civile et de répression.
Le début d’une nouvelle ère pour les Syriens ?
Si la réouverture du mont Qassioun est hautement symbolique, elle ne doit pas faire oublier l’ampleur des défis qui attendent encore la Syrie. Après des années de conflit dévastateur, le pays est exsangue et toujours sous le coup de lourdes sanctions occidentales. La chute de Bachar al-Assad, chassé du pouvoir en décembre dernier par une coalition de rebelles islamistes, marque certes un tournant majeur. Mais la situation sécuritaire et économique reste précaire, et le chemin vers une véritable reconstruction sera long et semé d’embûches.
Pour l’heure, les Syriens savourent ces petites parcelles de liberté retrouvée, comme celle de pouvoir à nouveau contempler la vue à couper le souffle sur Damas depuis les hauteurs du mont Qassioun. Un spectacle autrefois banal, devenu un symbole de la fin d’une époque et, peut-être, du début d’une nouvelle ère pour un peuple qui aspire désormais à une vie normale après tant d’années de privations et de souffrances.