Alors que les États-Unis et l’Europe s’emploient à freiner les exportations chinoises par des barrières douanières et réglementaires, Pékin ne reste pas les bras croisés. Pour maintenir son accès aux marchés occidentaux, la Chine mise sur une stratégie de contournement astucieuse : implanter ses entreprises dans des pays tiers. Le Vietnam, le Mexique, le Maroc ou encore la Malaisie deviennent ainsi les nouvelles portes d’entrée des produits chinois, redessinant subtilement la carte du commerce mondial.
L’Asie et l’Amérique latine, terrains de jeu privilégiés
Les données parlent d’elles-mêmes. Sur la seule période d’avril 2023 à mars 2024, au moins 41 projets de fabrication et de logistique chinois ont été annoncés au Mexique, tandis que 39 prenaient pied au Vietnam, selon le cabinet FDI Markets. Du jamais vu en deux décennies de suivi des investissements étrangers. Ces deux pays accueilleraient même désormais plus de projets industriels chinois que les États-Unis.
Résultat, les exportations chinoises vers le Mexique ont doublé entre 2017 et 2023, quand elles n’augmentaient que de 49% au niveau mondial. Le Vietnam affiche une trajectoire similaire, tout comme la Malaisie. Ces relocalisations ciblées permettent aux produits made in China d’accéder aux marchés américains et européens en contournant taxes et quotas.
La Hongrie et l’Égypte, autres liaisons vers l’Europe
Aux portes de l’Union européenne, la Hongrie est devenue une plaque tournante des investissements chinois. Le pays accueille un nombre record de projets industriels en provenance de Chine, séduit par son positionnement stratégique et ses coûts attractifs. Budapest espère ainsi devenir l’« atelier de l’Europe pour les entreprises chinoises » et dynamiser ses exportations.
Plus au sud, c’est l’Égypte qui tisse des liens économiques privilégiés avec Pékin. Là encore, l’objectif est clair : utiliser le pays comme un hub logistique et productif pour pénétrer le marché européen et africain. Les investissements chinois dans la zone du canal de Suez illustrent cette ambition.
Contourner, mais jusqu’à quand ?
Si la stratégie chinoise s’avère payante à court terme, elle pourrait avoir ses limites. Washington et Bruxelles surveillent de près ces manœuvres de contournement et pourraient être tentés de resserrer les mailles du filet. Renforcer les règles d’origine, conditionner l’accès au marché à des critères environnementaux et sociaux plus stricts… Les options ne manquent pas pour compliquer la tâche de Pékin.
La Chine joue habilement des failles du système commercial multilatéral, mais pour combien de temps encore ? L’OMC pourrait être appelée à clarifier les règles du jeu.
Pierre Dupont, expert en relations commerciales internationales
À plus long terme, c’est aussi la solidité des partenariats noués avec les pays tiers qui interpelle. Le Vietnam, le Mexique ou l’Égypte pourraient être tentés de renégocier les termes de leur coopération avec la Chine, voire de jouer à leur tour sur plusieurs tableaux. La montée en gamme de leurs industries les rend de moins en moins dépendants des investissements chinois.
Pékin a pris une longueur d’avance, mais rien ne garantit que son avantage soit durable. La bataille pour le contrôle des routes commerciales du XXIe siècle ne fait sans doute que commencer. Et dans ce jeu de go planétaire, chaque coup peut en appeler un autre, redessinant en permanence la carte des échanges et des alliances.