L’économie européenne est en perte de vitesse face à la concurrence acharnée des États-Unis et de la Chine. C’est le constat alarmant dressé par l’ancien président de la Banque centrale européenne Mario Draghi, dans un rapport de 400 pages commandé par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Un document qui doit inspirer les futures réformes de l’UE, mais qui s’annonce déjà très controversé.
Le décrochage économique de l’Europe
Mario Draghi tire la sonnette d’alarme : depuis 2000, le revenu par habitant a progressé presque deux fois plus vite aux États-Unis qu’en Europe. Un écart qui ne cesse de se creuser en raison d’une productivité et d’une capacité d’innovation jugées insuffisantes du Vieux Continent. Sans oublier sa trop grande dépendance envers la Chine pour certaines technologies et matières premières stratégiques.
Pour l’ancien banquier central, l’UE doit engager des réformes radicales si elle veut éviter “une lente agonie”. Renforcer les politiques communes tout en allégeant la bureaucratie, telles sont les grandes orientations de son rapport. Mais les discussions entre les Vingt-Sept s’annoncent houleuses, tant les désaccords idéologiques et les intérêts divergents sont marqués.
1. Une politique commerciale plus offensive
Selon Mario Draghi, l’Europe doit mieux se protéger face aux pratiques commerciales agressives de la Chine et des États-Unis, sans pour autant tomber dans le protectionnisme. Il plaide pour une stratégie industrielle européenne, avec des mesures “très prudentes” et ciblées par secteur. L’objectif : rétablir des conditions de concurrence équitable pour les entreprises européennes, comme l’illustrent les surtaxes jusqu’à 35% imposées récemment aux voitures électriques chinoises.
2. Favoriser les fusions pour doper l’innovation
Pour rester dans la course à l’innovation technologique face aux géants mondiaux, les entreprises européennes doivent atteindre une taille critique. D’où l’idée de faciliter les fusions et acquisitions, en adaptant les règles de la concurrence. La Commission européenne devrait ainsi mieux prendre en compte les effets positifs des rapprochements sur l’innovation et les investissements, et plus seulement leur impact sur les prix. Dans les télécoms, M. Draghi recommande de favoriser l’émergence d’opérateurs paneuropéens.
3. Créer un véritable marché unique de la finance
Pour combler ses énormes besoins de financement dans le numérique, la transition verte ou la défense, de l’ordre de 800 milliards d’euros par an, l’Europe doit mieux mobiliser son épargne. Une épargne aujourd’hui “pas canalisée de manière efficace vers des investissements productifs” selon M. Draghi. Son remède : bâtir une véritable Union des marchés de capitaux, dotée de réglementations et d’une supervision communes. Et lancer de nouveaux produits d’épargne paneuropéens orientés vers le financement des entreprises innovantes.
4. Émettre de la dette commune européenne
Les capitaux privés ne suffiront pas. Certains projets stratégiques, dans la recherche de pointe, les réseaux énergétiques transfrontaliers ou l’armement, nécessitent des financements publics communs. Fort du succès du plan de relance post-Covid de 800 milliards d’euros, M. Draghi propose de continuer à émettre de la dette commune pour financer ces investissements prioritaires. Une idée soutenue par la France, mais qui reste taboue pour de nombreux pays du Nord, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas.
5. Alléger et harmoniser les réglementations
Dernier chantier identifié par l’ancien patron de la BCE : approfondir le marché unique européen. Car de nombreux secteurs, comme les télécoms, l’énergie ou la défense, restent fragmentés par des règles nationales disparates, ce qui nuit à la compétitivité des entreprises. En parallèle, M. Draghi dénonce le “poids croissant” d’une réglementation européenne tatillonne, un vrai handicap pour les PME. Il préconise d’en exempter certaines contraintes, que seuls les grands groupes ont les moyens d’assumer.
Les dirigeants européens, qui ont entamé l’examen du rapport Draghi, sont loin de partager toutes ses recommandations. Entre le camp des “frugaux” attachés à la rigueur budgétaire, et celui des pays du Sud, désireux de plus de solidarité financière, le chemin vers un consensus s’annonce semé d’embûches. Mais l’ancien banquier a eu le mérite de poser clairement les termes du débat, à l’heure où l’Europe joue son avenir économique face aux deux superpuissances mondiales.