C’est un livre événement qui promet de lever le voile sur les arcanes de la diplomatie européenne. Les mémoires d’Angela Merkel, intitulées « Liberté », paraîtront en France le 2 décembre aux éditions Albin Michel. Dans un extrait publié en avant-première par Le Figaro, l’ex-chancelière allemande évoque sans détour l’un des dossiers les plus épineux de son long mandat : la crise de la dette grecque qui a secoué la zone euro au début des années 2010.
Angela Merkel face à la crise grecque : une position inflexible
Dans un passage consacré à l’invitation du président du Conseil européen Herman Van Rompuy à une rencontre spéciale à Bruxelles le 11 février 2010, Angela Merkel confie avoir adopté une ligne dure face aux demandes d’aide financière de la Grèce. Selon une source proche de l’ex-chancelière citée dans l’ouvrage, elle aurait déclaré à ses interlocuteurs européens : « Je ne peux en aucun cas donner de l’argent ».
Cette position intransigeante reflète la rigueur budgétaire qui a caractérisé la politique européenne de l’Allemagne sous l’ère Merkel. Pour la chancelière, hors de question de céder aux sirènes de la facilité en renflouant les caisses d’un État membre surendetté sans contrepartie. Une vision qui a suscité de vives tensions avec la Grèce mais aussi avec d’autres pays du Sud de l’Europe, réclamant davantage de solidarité et de souplesse.
Le nouveau mode de fonctionnement du Conseil européen
Au-delà de la crise grecque, les mémoires d’Angela Merkel éclairent également les coulisses du fonctionnement du Conseil européen après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009. Ce texte, dont les bases avaient été posées sous la présidence allemande du Conseil au premier semestre 2007, a instauré un nouveau mode de travail pour cette instance réunissant les chefs d’État et de gouvernement des pays de l’UE.
Désormais, seuls en font partie les dirigeants nationaux ainsi que le président de la Commission européenne, là où auparavant les ministres étaient également conviés. Un format resserré censé favoriser des discussions plus stratégiques et politiques, comme le défendait l’Allemagne. Mais dans ses mémoires, Angela Merkel semble regretter que le Conseil…
Merkel et l’Europe : entre pragmatisme et idéal
Au fil des pages, c’est le portrait d’une dirigeante pragmatique mais attachée à l’idéal européen qui se dessine. Si Angela Merkel n’a pas hésité à défendre avec fermeté les intérêts de l’Allemagne, comme lors de la crise grecque, elle a toujours inscrit son action dans la perspective d’une Europe unie et intégrée. Une vision qui transparaît dans cet extrait de « Liberté », où elle affirme :
L’Europe n’est pas un long fleuve tranquille, c’est une aventure faite de crises et de rebondissements. Mais c’est notre avenir commun, et nous devons tout faire pour la préserver et la renforcer.
Des propos qui résonnent avec force alors que l’UE est confrontée à de nouveaux défis, du Brexit aux menaces qui pèsent sur l’État de droit dans certains pays de l’Est. Si Angela Merkel a quitté la scène politique en 2021, son héritage européen continue de peser sur les débats et les orientations actuelles.
Des révélations qui bousculent l’image de la « chancelière de velours »
La publication des mémoires d’Angela Merkel promet en tout cas de bousculer certaines idées reçues sur celle qui fut surnommée la « chancelière de velours » pour sa discrétion et sa capacité à trouver des compromis. En livrant un témoignage sans filtre sur les moments de tension et les rapports de force qui ont jalonné son parcours européen, l’ex-dirigeante allemande offre une plongée passionnante dans les rouages de la diplomatie au plus haut niveau.
Un exercice d’autant plus précieux qu’Angela Merkel, connue pour sa réserve, s’est peu livrée durant ses 16 années au pouvoir. Ses mémoires apparaissent donc comme le testament politique d’une chancelière qui a profondément marqué l’Europe, pour le meilleur et parfois pour le pire. En filigrane, c’est aussi une réflexion sur le leadership et la responsabilité des dirigeants face aux crises qui traverse l’ouvrage.
Quelles leçons tirer pour l’avenir de l’Europe ?
Au-delà de leur dimension historique, les confidences d’Angela Merkel sur la crise grecque et le fonctionnement du Conseil européen ont une portée actuelle. Elles invitent à s’interroger sur les moyens de renforcer la solidarité et la coordination entre États membres face aux turbulences, sans renier les principes de responsabilité et de stabilité chers à l’Allemagne.
Un défi d’autant plus crucial que l’Europe post-Merkel semble parfois en panne de leadership et de vision, comme l’ont montré les difficultés à définir une réponse commune ambitieuse à la crise du Covid-19. À l’heure où de nouvelles menaces se profilent, du dérèglement climatique à la montée des populismes, les leçons du passé restent plus que jamais d’actualité pour construire l’Europe de demain.