Imaginez une communauté réduite à sept âmes, portant sur ses épaules un héritage vieux de plusieurs millénaires. En Syrie, dans l’ombre d’un pays marqué par des décennies de conflits et de bouleversements, les derniers Juifs de Damas tentent de ranimer une flamme qui vacille. Leur histoire, faite de résilience et de nostalgie, nous interpelle : jusqu’où peut-on aller pour préserver ses racines ?
Un Renouveau Historique au Cœur de Damas
La chute récente d’un régime autoritaire a ouvert une brèche inattendue. Pour la première fois en plus de trente ans, des voix juives ont résonné dans la synagogue Faranj, un lieu de culte oublié, niché au cœur de la capitale syrienne. Cette prière collective, bien que modeste, marque un tournant. Elle réunit des résidents locaux et des membres de la diaspora revenus d’exil, notamment des États-Unis, dans un élan de reconnection spirituelle.
Le président de cette minuscule communauté, un tailleur sexagénaire, incarne cette lutte silencieuse. Dans sa demeure à l’architecture traditionnelle, il témoigne d’une réalité poignante : sur neuf membres encore présents il y a peu, deux viennent de s’éteindre. « Je suis le plus jeune », confie-t-il avec une pointe de mélancolie, soulignant l’isolement des survivants, souvent trop âgés pour quitter leur foyer.
Une Histoire Millénaire Menacée d’Oubli
Les Juifs de Syrie ne sont pas des nouveaux venus. Leur présence remonte à des siècles avant notre ère, ancrée dans une terre où ils ont prospéré bien avant les tumultes modernes. Pourtant, le conflit israélo-arabe a tout changé. Après la guerre de 1967, les persécutions se sont intensifiées dans plusieurs pays arabes, et la Syrie n’a pas fait exception. La communauté, autrefois florissante, a vu ses rangs fondre comme neige au soleil.
Sous le régime des Assad, ils ont pu pratiquer leur foi, mais à quel prix ? Sous Hafez, leurs mouvements étaient surveillés, les voyages à l’étranger interdits jusqu’en 1992. Depuis, leur nombre a chuté drastiquement, passant de 5 000 à une poignée d’individus aujourd’hui. La guerre civile, débutée en 2011, a achevé de vider les synagogues et d’éteindre les espoirs de retour pour beaucoup.
« Quand j’ai quitté la Syrie, j’ai eu l’impression d’être un arbre déraciné de sa terre. »
– Un rabbin syro-américain, de retour après 34 ans d’exil
La Diaspora et le Rêve d’un Pont
Avec la fin du régime en décembre dernier, un vent de changement souffle. Plusieurs Juifs syriens, installés à l’étranger depuis des décennies, reviennent timidement. Parmi eux, un rabbin de 77 ans, parti il y a 34 ans, raconte son attachement indéfectible à cette terre. « Nous aimons ce pays, nous y avons grandi », dit-il, la voix teintée d’émotion. Pourtant, il sait que reconstruire une communauté ici relève du défi.
Le président local, lui, ne se contente pas de rêver. Sur les réseaux sociaux, il partage des clichés du quartier juif de Damas, des synagogues silencieuses, et des nouvelles – souvent tristes – de ses coreligionnaires. Ces publications éveillent la nostalgie chez les expatriés, qui commentent en masse, évoquant des souvenirs d’un passé révolu. Mais peut-on vraiment bâtir un avenir sur des ruines ?
Des Synagogues Témoins d’un Passé Glorieux
La Syrie abrite plus de vingt synagogues, des vestiges d’une époque où la vie juive prospérait. La synagogue Faranj, récemment rouverte, n’est qu’un exemple. Mais d’autres, comme celle du prophète Élie à Jobar, ont subi un sort tragique. Pillée et détruite pendant la guerre, elle a perdu des trésors inestimables, dont un rouleau de la Torah parmi les plus anciens au monde. Ces pertes ne sont pas que matérielles : elles effacent des pans entiers d’une identité.
- Synagogue Faranj : Première prière en trente ans, un symbole d’espoir.
- Synagogue du prophète Élie : Détruite, un rappel des ravages de la guerre.
- Quartier juif de Damas : Un patrimoine en sursis, déserté mais chargé d’histoire.
Face à ces pertes, certains proposent des solutions concrètes. L’idée d’un musée pour honorer cette présence juive en Syrie germe dans les esprits. Mais sans retour massif, sans mariages ni naissances, l’extinction guette. « Si personne ne revient, nous disparaîtrons bientôt », lâche un membre de la diaspora, lucide.
Entre Joie et Scepticisme
Pour ceux qui ont prié dans la synagogue Faranj, l’émotion était palpable. « Une joie indescriptible », confie le président de la communauté. Mais ce bonheur est fragile. Un visiteur de 47 ans, de retour après 1992, décrit la synagogue comme « le foyer de tous les Juifs ». Pourtant, il sait que les opportunités ailleurs – en Occident notamment – retiennent la plupart des expatriés.
Le rabbin, lui, oscille entre espoir et réalisme. Sa famille, comme celle de tant d’autres, s’est enracinée à l’étranger. Aujourd’hui, les Juifs syriens et leurs descendants seraient environ 100 000 dans le monde. Mais combien reviendront s’installer ? « Ma liberté est une chose, mes attaches familiales en sont une autre », résume-t-il, dubitatif.
Un Héritage à Sauver : Mission Impossible ?
Alors que les nouvelles autorités promettent sécurité aux Juifs et à leurs biens, la communauté reste prudente. Restaurer les synagogues, reconnecter la diaspora, préserver une culture menacée : les défis sont immenses. Pourtant, chaque pas compte. Une voisine palestinienne veillant sur une défunte juive, des institutions musulmanes assurant les rites funéraires : ces gestes montrent que des ponts subsistent, même dans l’adversité.
Époque | Population juive | Événement marquant |
Avant 1967 | Plusieurs milliers | Persécutions post-guerre |
1992 | Environ 5 000 | Fin des restrictions de voyage |
2025 | 7 | Prière collective historique |
Ce tableau illustre une chute vertigineuse, mais aussi une lueur d’espoir. Chaque Juif qui revient, chaque prière prononcée, est une victoire sur l’oubli. Mais le temps presse. Sans une mobilisation collective, cet héritage pourrait n’être plus qu’un souvenir, figé dans des photographies et des récits d’exilés.
Un défi titanesque : préserver une identité millénaire avec seulement sept âmes. La Syrie, terre de diversité, peut-elle redevenir un foyer pour ses Juifs ?
L’histoire des Juifs de Syrie est celle d’une résistance douce, d’une foi maintenue contre vents et marées. Elle nous rappelle que l’héritage n’est pas qu’un passé à contempler, mais un avenir à construire. Reste à savoir si cette flamme, si fragile soit-elle, trouvera assez de souffle pour perdurer.