Imaginez des semaines entières à vivre dans un épais nuage de fumée, à sortir la nuit éteindre les flammes qui menacent votre ferme, à voir vos enfants souffrir de problèmes respiratoires. C’est le cauchemar qu’ont vécu les habitants de l’île de Marajo, en Amazonie brésilienne, lors de la saison des incendies particulièrement intense de 2024.
Avec plus de 140.000 départs de feu enregistrés, un record en 17 ans, l’Amazonie a été ravagée l’an passé. L’État du Para, dont la capitale Belem accueillera en novembre la conférence de l’ONU sur le climat COP30, a été le plus touché avec plus de 56.000 incendies.
Un phénomène aggravé par l’homme
Si l’ampleur de ces incendies est en partie liée au réchauffement climatique qui assèche la végétation, rendant sa propagation plus facile, ils sont dans leur écrasante majorité provoqués par l’homme. Certains pratiquent le brûlis pour nettoyer des terres agricoles, d’autres mettent carrément le feu à la forêt pour s’approprier illégalement des terrains.
Des semaines de fumées toxiques
À Breves, ville de 107.000 habitants frappée par le chômage et la pauvreté, les habitants ont subi des semaines « insoutenables » selon les mots de Zairo Gomes, leader communautaire local :
C’était impossible de sortir car on ne voyait rien. Les services médicaux étaient saturés de patients atteints de maladies respiratoires.
– Zairo Gomes, leader communautaire de Breves
Les taux de particules fines dans l’air ont atteint des niveaux 30 fois supérieurs aux seuils maximums recommandés par l’OMS. Une véritable catastrophe sanitaire.
Quand les flammes détruisent des vies
Cette catastrophe écologique a des conséquences désastreuses pour les habitants, dont beaucoup vivent de la cueillette d’açai, aliment de base de la région. Giovana Serrao n’était pas chez elle quand un incendie s’est propagé depuis un champ voisin, réduisant en cendres sa plantation. Elle accuse aujourd’hui son voisin, mais aucune suite n’a été donnée.
Paulinho dos Santos garde lui un souvenir amer de ces nuits passées à tenter d’éteindre avec des seaux d’eau les flammes qui dévoraient sa ferme. Il a perdu 40% de ses terres dans l’incendie dont il ignore l’origine.
Le cri du cœur des habitants : « Les incendies, ça suffit ! »
Face à cette situation désastreuse et à l’impunité des responsables présumés, la colère monte. Un collectif citoyen baptisé « Breves appelle au secours, pour le droit de respirer » s’est formé pour faire pression sur les autorités.
Nous voulons davantage de moyens pour nos pompiers et des sanctions pour les responsables.
– Maria Leao, membre du collectif et sage-femme
Selon un rapport de Greenpeace, l’immense majorité des incendies criminels en Amazonie restent impunis et moins de 1% des rares amendes infligées est payé. Les forces de l’ordre locales admettent manquer cruellement de moyens pour lutter contre le feu et identifier les coupables.
L’omerta et la peur des représailles
D’autant que dans cette région livrée à elle-même, où les décharges sauvages remplacent les services publics, la loi du silence règne. Par peur des représailles, personne n’ose témoigner ou accuser nommément. Un terreau fertile pour l’impunité.
Mais les habitants comptent bien briser ce cercle vicieux. Leur cri du cœur « Les incendies, ça suffit ! » résonne comme un appel à l’aide et à la mobilisation. Le leader communautaire Zairo Gomes veut croire que le vent est en train de tourner :
Nous sommes arrivés à quelque chose d’important : les citoyens ont commencé à parler d’environnement, de changement climatique et d’incendies criminels.
La tenue prochaine de la COP30 sur le climat dans la région sera peut-être l’occasion de braquer enfin les projecteurs sur cette catastrophe silencieuse. Les habitants d’Amazonie l’espèrent en tout cas de tout cœur. Pour que cesse enfin le feu et l’impunité.