L’Union européenne s’apprête à franchir une étape décisive dans la lutte contre la déforestation importée. À partir de fin 2024, une nouvelle réglementation interdira la commercialisation dans l’UE de nombreux produits (soja, bœuf, cacao, café, huile de palme…) s’ils proviennent de terres déboisées après décembre 2020. Mais à quelques mois de l’entrée en vigueur, la pression américaine s’intensifie pour obtenir un report de ces règles controversées.
Les États-Unis s’inquiètent des “défis critiques” pour leurs producteurs
Dans une lettre adressée fin mai à la Commission européenne, révélée par le Financial Times, plusieurs hauts responsables américains dont la représentante au Commerce Katherine Tai demandent de repousser l’application du texte. Ils invoquent les “défis critiques” rencontrés par les producteurs américains pour se conformer aux nouvelles exigences de traçabilité.
Concrètement, la législation européenne obligera les entreprises important dans l’UE à prouver que leurs produits ne sont pas issus de la déforestation. Cela impliquera de fournir des données de géolocalisation précises sur les exploitations d’origine. Un véritable casse-tête pour certaines filières comme le soja, le bois ou le papier qui s’approvisionnent auprès de sources multiples.
Un délai nécessaire ou une manœuvre dilatoire ?
Du côté de Bruxelles, on temporise en assurant travailler “en étroite collaboration avec toutes les parties prenantes” en vue d’une “mise en œuvre harmonieuse”. Mais difficile de ne pas voir dans la requête américaine une tentative de gagner du temps, voire d’édulcorer des règles perçues comme des barrières commerciales. D’autant que les inquiétudes sont partagées par de nombreux autres pays exportateurs, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud.
Nous pouvons confirmer avoir reçu la lettre, nous répondrons en temps utile.
Commission européenne
Des règles lourdes de conséquences pour les pays exportateurs
Au Paraguay, en Bolivie, en Équateur, les autorités redoutent un impact dévastateur sur leurs exportations agricoles. En Malaisie et en Indonésie, qui assurent 85% de la production mondiale d’huile de palme, on dénonce une mesure protectionniste et on brandit la menace d’une plainte à l’OMC. Même au sein de l’UE, le texte suscite des réserves chez des États membres inquiets de la charge bureaucratique pour leurs propres agriculteurs et industriels.
L’UE pourra-t-elle tenir bon face aux pressions ?
Malgré les critiques, l’UE semble déterminée à aller de l’avant pour endiguer son empreinte sur la déforestation mondiale, dont elle est responsable à 16% via ses importations selon le WWF. Des contrôles devront cibler au moins 9% des produits venant de pays considérés à “haut risque”. Reste à savoir si la Commission, face à la levée de boucliers, saura résister à la tentation d’accorder des dérogations ou de repousser l’échéance. L’enjeu est de taille pour la crédibilité de l’Europe sur la scène internationale.
La lutte contre la déforestation importée s’annonce comme un test majeur pour le Pacte vert européen et sa volonté de réconcilier le commerce et le climat. Mais aussi un révélateur des rapports de force à l’heure de la mondialisation. Si l’UE plie face aux pressions américaines, c’est toute son ambition écologique qui risque d’être discréditée. Il ne reste que quelques mois aux forceps de la diplomatie pour convaincre les pays producteurs de jouer le jeu, sans céder sur les principes de la nouvelle législation. Un sacré défi.