Imaginez que du jour au lendemain, on vous interdise d’inscrire votre enfant dans l’école de votre choix. C’est le cauchemar que vivent actuellement des dizaines de familles franco-turques en Turquie. Depuis le 10 août 2024, le gouvernement turc a pris une décision radicale : plus aucun élève de nationalité turque ne peut s’inscrire dans les classes primaires et maternelles des établissements scolaires français du pays. Une mesure choc qui plonge de nombreux parents dans le désarroi.
Des familles démunies face à une décision arbitraire
Sophie*, une mère de famille française mariée à un ressortissant turc, témoigne de son incompréhension. Expatriée de longue date à Istanbul, elle avait naturellement choisi d’inscrire son fils, détenteur de la double nationalité, au prestigieux lycée Pierre Loti. Mais en ce mois de juillet 2024, c’est la douche froide.
On pensait vraiment que l’État français allait protéger nos enfants. Quand on a reçu le mail de l’ambassade nous prévenant de la décision turque, on est tombés des nues.
– Sophie, mère d’un élève franco-turc
Comme Sophie, près d’une centaine de familles sont concernées, souvent des couples binationaux ayant fait le choix d’une éducation française pour leurs enfants. Du jour au lendemain, leurs certitudes et leur organisation familiale ont volé en éclats.
Des destins bouleversés du jour au lendemain
Face à cette décision tombée comme un couperet, certains n’ont eu d’autre choix que de plier bagage dans l’urgence. C’est le cas d’Elif*, franco-turque, qui a dû se résoudre à quitter son pays natal pour permettre à ses deux filles de poursuivre leur scolarité en français.
On avait toute notre vie ici, notre travail, notre appartement, notre famille. Mais on ne pouvait pas imaginer scolariser nos filles dans une autre langue, elles ont toujours été dans le système français. On a tout quitté en catastrophe fin août pour s’installer en France, un vrai déchirement.
– Elif, mère de deux élèves franco-turques
D’autres, comme les parents de Mehmet*, 8 ans, ont opté pour une scolarisation à distance, à défaut de pouvoir déménager. Mais cette solution a un coût, et seuls les plus aisés peuvent se le permettre. Pour la majorité, c’est une course contre la montre pour trouver une école sur place, avec le risque de perdre des acquis en changeant de langue et de système.
Les écoles françaises victimes de tensions diplomatiques
Si officiellement, le motif invoqué par Ankara est un problème de « réciprocité » concernant les écoles turques en France, beaucoup y voient surtout un nouveau bras de fer diplomatique entre les deux pays, dont les relations se sont dégradées ces dernières années. Les établissements français, fleurons de la francophonie et de l’excellence académique, se retrouvent pris en étau dans un conflit qui les dépasse.
C’est injuste de prendre nos enfants en otage de querelles géopolitiques. Ils sont les premiers pénalisés par ces décisions politiques, prises sans penser à leur intérêt.
– Mehmet, père d’élève
En attendant une hypothétique résolution du différend, les équipes pédagogiques tentent de maintenir le moral des troupes et la continuité éducative, non sans mal. Au lycée Pierre Loti, on se veut combatif malgré la perte annoncée de près d’un quart des élèves turcs.
On fera tout notre possible pour continuer à offrir une éducation de qualité, en préservant nos valeurs humanistes et notre ouverture au monde. Nos élèves bi-nationaux sont une richesse, un pont entre les cultures. Nous mettrons tout en oeuvre pour les garder, même si nous devons nous adapter.
– Un responsable du lycée Pierre Loti
Quel avenir pour les écoles françaises en Turquie ?
Mais dans les couloirs des écoles concernées, l’inquiétude est palpable. Beaucoup craignent que ce ne soit que le début d’un long bras de fer qui pourrait aboutir, à terme, à la fermeture pure et simple de ces établissements. Un scénario catastrophe pour les milliers de familles qui ont misé sur une éducation française, synonyme d’excellence et d’opportunités.
En attendant, les autorités françaises multiplient les démarches en coulisses pour tenter de débloquer la situation. Mais dans ce bras de fer diplomatique, les enfants semblent être devenus un moyen de pression comme un autre. Un triste constat pour ces familles prises en étau, qui se sentent abandonnées par les deux pays.
On a l’impression d’être des pions sacrifiés sur l’échiquier géopolitique. La France et la Turquie se renvoient la balle, et pendant ce temps, c’est l’avenir de nos enfants qui est en jeu. Il est urgent de trouver une solution, dans l’intérêt des élèves avant tout.
– Une mère d’élève franco-turque
Car derrière les enjeux politiques, ce sont des destins individuels qui se jouent. Des parcours scolaires interrompus, des amitiés brisées, des familles séparées. Autant de dommages collatéraux d’un conflit qui semble bien loin des préoccupations du quotidien. Les écoles françaises, jadis symboles d’ouverture et de dialogue, sont aujourd’hui prises dans la tourmente des relations internationales. Reste à espérer qu’une issue positive soit trouvée rapidement, pour le bien des élèves et de leurs familles. L’éducation ne devrait jamais être une victime de la géopolitique.
*Les prénoms ont été changés.