Nouveau rebondissement dans l’interminable feuilleton de la réforme des retraites. Ce jeudi 31 octobre, les députés ont rejeté par 197 voix contre 119 la proposition de loi du Rassemblement National visant à abroger cette réforme qui a tant fait couler d’encre et descendre les Français dans la rue. Mais au-delà du résultat sans appel, c’est surtout la teneur des débats qui a marqué les esprits, avec des accusations de trahison fusant de part et d’autre, notamment entre le RN et le Nouveau Front Populaire.
La proposition de loi, portée par le député RN Thomas Ménagé, accusait la réforme Macron d’être “sacrificielle, injuste et inutile”. Mais c’est surtout contre la gauche que se sont tournées ses flèches les plus acérées. Il a fustigé “le sectarisme de la gauche et de l’extrême gauche”, lui reprochant d’avoir fait capoter son texte en commission, main dans la main avec les macronistes. De son côté, le NFP, par la voix de son oratrice Anaïs Belouassa-Cherifi, a dénoncé l'”arnaque sociale” du RN, préférant défendre sa propre proposition d’abrogation prévue le 28 novembre.
Un bras de fer politique qui tourne au pugilat
Au-delà du fond, c’est un véritable bras de fer politique qui se joue entre le RN et le NFP pour apparaître comme le meilleur opposant à la réforme des retraites. Marine Le Pen a accusé “l’extrême gauche” d’avoir “contribué à repousser l’abrogation de la réforme d’Emmanuel Macron” et de “trahir leurs électeurs”. Mais dans le même temps, elle a assuré que son groupe voterait la proposition du NFP le 28 novembre. Un jeu d’équilibriste pour tenter de tirer la couverture à elle.
Un texte vidé de sa substance
Dès le départ, la proposition RN n’avait que peu de chances d’aboutir, ayant été vidée de sa substance en commission. Son article principal avait été supprimé et les amendements visant à le rétablir retoqués au nom de l’article 40 de la Constitution qui interdit aux parlementaires de dégrader les finances publiques. Une ironie quand on sait que c’est justement au nom de l’équilibre financier que le gouvernement a imposé sa réforme par 49.3. Plus de 5 heures de débats pour en arriver là, cela montre à quel point le sujet est explosif, près d’un an après l’adoption de la réforme.
Et maintenant ?
Après ce nouveau revers, tous les regards se tournent désormais vers la proposition du NFP qui sera examinée le 28 novembre. Son succès est plus qu’incertain compte tenu de la majorité relative d’Emmanuel Macron à l’Assemblée. Mais nul doute que les débats seront électriques et permettront à chacun d’affûter ses arguments à l’approche des élections européennes de 2024. La réforme des retraites, bien que déjà en vigueur, sera à n’en pas douter l’un des sujets majeurs de la campagne.
“Les masques tombent ! La NUPES ne souhaite pas l’abrogation de la réforme des retraites mais veut l’instrumentaliser jusqu’aux élections. Ils n’hésitent pas à trahir leurs électeurs pour sauver leur posture politique !”
– Un député RN sous couvert d’anonymat
Pourtant, rien n’est simple dans ce dossier, et le résultat du vote de ce jeudi illustre les fractures qui traversent les oppositions. Le RN accuse la NUPES de trahison, cette dernière taxe le RN d’imposture. Au milieu, les Français n’en finissent plus d’être pris en otage dans un débat qui semble parfois tourner à vide. Compte tenu de l’impopularité record de la réforme et de la défiance envers les politiques, jouer au ping-pong avec un sujet aussi crucial pourrait s’avérer périlleux pour tous les camps.
Une réforme qui continue de diviser les Français
Selon un sondage récent, 68% des Français restent opposés à la réforme et 58% souhaitent son abrogation. Malgré son adoption cet été et sa validation par le Conseil Constitutionnel, la réforme du système de retraites continue de fracturer durablement la société française. Pour beaucoup, elle symbolise une forme d’injustice sociale et cristallise les rancœurs contre un pouvoir jugé sourd aux revendications populaires.
Face à cette colère sourde, le gouvernement semble faire le dos rond, comptant sur le temps qui passe pour éteindre progressivement l’incendie. Mais avec un débat politique qui repart de plus belle, des syndicats toujours remontés, et des oppositions qui voient dans ce sujet un tremplin idéal, le chemin sera long et semé d’embûches. Emmanuel Macron pourrait bien regretter longtemps ce passage en force qui lui colle à la peau.
La réforme comme révélateur de la crise démocratique
Au-delà des clivages partisans, ce nouvel épisode montre combien la réforme des retraites a agi comme un puissant révélateur d’une crise démocratique plus profonde. Utilisation décomplexée du 49.3, motion de censure qui échoue de peu, débats tronqués, manifestations record : tous les ingrédients d’une défiance grandissante envers les institutions et ceux qui les incarnent étaient réunis. Et force est de constater que cet épisode a laissé des traces.
“La réforme des retraites restera comme une tache indélébile dans le quinquennat d’Emmanuel Macron. Le symbole d’un pouvoir qui s’est coupé des Français et a bafoué la démocratie sociale et parlementaire.”
– Une figure syndicale
Aujourd’hui, chaque débat à l’Assemblée sur les retraites prend des airs de règlement de comptes, chaque vote ravive les braises encore chaudes de la contestation. Preuve que la plaie est loin d’être refermée et que le traumatisme est encore vif. Emmanuel Macron espérait tourner la page avec son plan d’action pour les 100 jours. Il risque de devoir composer encore longtemps avec le spectre de cette réforme qui a durablement abîmé son mandat.
À n’en pas douter, le chemin vers une réconciliation des Français avec leur modèle social et leur démocratie sera long et tortueux. Le vote de ce jeudi n’en est qu’une étape. Mais il illustre combien, dans une France fracturée, la question des retraites reste une poudrière. Et aucun responsable politique ne semble aujourd’hui en mesure de désamorcer cette bombe à retardement.