Imaginez un instant : sous une bretelle d’autoroute, au cœur de la bouillonnante capitale indonésienne, des silhouettes frêles se dessinent dans l’ombre. Ce sont des chevaux, attachés à des poteaux, leurs côtes saillantes témoignant d’une vie de labeur. Ces animaux, derniers vestiges d’une époque révolue, tirent encore des calèches dans les rues de Jakarta. Mais derrière le tintement des cloches et le charme désuet des attelages, une réalité bien plus sombre se dévoile. Que reste-t-il de cette tradition face à la modernité et aux cris d’alarme des défenseurs des animaux ?
Une Tradition en Voie d’Extinction
Autrefois, les calèches appelées **delman** étaient omniprésentes dans les rues de Jakarta. Héritage de l’époque coloniale hollandaise, elles incarnaient une manière pittoresque de se déplacer. Aujourd’hui, elles ne sont plus qu’une poignée, reléguées à une activité touristique marginale. Les motos-taxis, rapides et bon marché, ont envahi la ville, reléguant ces attelages au rang de curiosités. Pourtant, pour certains, cette pratique persiste, ancrée dans une nostalgie tenace.
D’après une source proche, il ne resterait qu’environ 200 chevaux en service, répartis dans une vingtaine d’écuries disséminées à travers la capitale. Mais à quel prix ? Ces bêtes, souvent mal nourries et épuisées, peinent à survivre dans un environnement hostile. Entre klaxons et pollution, leur quotidien est un combat permanent.
Des Conditions de Vie Alarmantes
Dans une étable de fortune près d’une rivière nauséabonde, entourée de déchets, une quinzaine de chevaux attendent leur prochaine course. L’image est loin d’être idyllique : maigreur extrême, blessures non soignées, et un sol jonché de plastique. Ces conditions, qualifiées de “déplorables” par les militants, soulignent un problème criant : le manque de moyens des propriétaires pour entretenir leurs animaux.
Les conditions sont vraiment, vraiment mauvaises.
– Une cofondatrice d’une ONG de protection animale
Les défenseurs des animaux pointent du doigt une maltraitance parfois brutale. Certains propriétaires, par ignorance ou désespoir, continuent d’utiliser des méthodes archaïques, comme percer les muscles des chevaux avec des tiges pour soi-disant “purifier” leur sang. Pendant la crise du Covid-19, des cas de chevaux morts de faim ont même été signalés. Une situation qui pousse les associations à réclamer l’arrêt définitif de cette pratique.
Le Dur Combat des Cochers
Pour les cochers, la réalité est tout aussi rude. Un trajet de plusieurs kilomètres autour d’un monument emblématique de Jakarta ne rapporte que quelques euros par jour. “Quand les revenus sont faibles, on doit faire des choix”, confie un conducteur de 52 ans. Réduire la nourriture des chevaux devient alors une nécessité pour nourrir sa famille, plongeant les bêtes dans un cercle vicieux de malnutrition.
Pourtant, tous ne veulent pas abandonner. “J’aime ce travail, ça me fait du bien”, explique un cocher de l’ouest de la ville, qui gagne jusqu’à 9 euros par jour. Pour lui, cette activité reste une source de fierté et de subsistance, même si les conditions sont loin d’être idéales.
Entre Tradition et Modernité
Les delman, avec leurs décorations colorées et leurs cloches tintantes, séduisent encore certains touristes. Mais ce charme apparent cache une lutte pour la survie. Les jeunes cochers envisagent une reconversion, attirés par des métiers comme conducteur de moto-taxi. Les plus âgés, eux, s’accrochent à ce qu’ils savent faire, refusant de tourner la page.
- Tradition : Un héritage colonial qui perdure malgré les défis.
- Modernité : Les moto-taxis dominent, rendant les delman obsolètes.
- Survie : Les cochers jonglent entre gagne-pain et bien-être animal.
Les Efforts pour Sauver les Chevaux
Face à cette situation, des ONG locales tentent d’agir. Elles proposent des soins gratuits aux chevaux en échange d’un meilleur traitement de la part des cochers. Mais beaucoup refusent, invoquant des contraintes financières ou des croyances ancestrales. “Ils ont à peine de quoi vivre eux-mêmes”, déplore une militante engagée depuis des années.
Les autorités, quant à elles, reconnaissent le problème mais manquent de ressources. “Nous avons besoin d’aide extérieure pour offrir des soins”, explique une responsable locale. Une loi nationale sur la protection animale existe, mais son application reste aléatoire, laissant les chevaux dans une zone grise.
Quel Avenir pour les Delman ?
Le sort des chevaux delman oscille entre préservation culturelle et impératif éthique. Faut-il maintenir cette tradition au prix de la souffrance animale ? Ou bien accompagner les cochers vers une transition viable ? Les réponses tardent à venir, et pendant ce temps, les sabots continuent de résonner sur l’asphalte, dans un mélange de courage et de désespoir.
Chiffres clés : Environ 200 chevaux, 20 écuries, et des revenus dérisoires pour les cochers. Une tradition qui s’essouffle sous le poids de la modernité.
En attendant, les défenseurs des animaux rêvent d’un Jakarta sans delman, où les chevaux pourraient enfin être libérés de leurs chaînes. Mais pour l’instant, sous les rampes d’autoroute et dans les ruelles bondées, ces bêtes continuent leur marche silencieuse, témoins d’un passé qui refuse de s’éteindre.