Face à l’accélération de l’érosion côtière en Guadeloupe, les maires de l’archipel se retrouvent en première ligne pour gérer une situation de plus en plus préoccupante. Le phénomène, qui ne cesse de s’aggraver, menace directement les habitations et les infrastructures du littoral, contraignant les élus locaux à envisager des déplacements de population onéreux. Une problématique complexe qui soulève de nombreux défis humains, financiers et environnementaux.
Un littoral en recul constant
Selon des témoignages, certaines zones côtières de Guadeloupe ont vu le trait de côte reculer de manière spectaculaire en l’espace de quelques décennies. Des plages de sable ont ainsi laissé place à la mer, comme en témoigne Frantz Bissessar, 69 ans, habitant de Capesterre-Belle-Eau en Basse-Terre :
Quand j’étais petit, on pouvait rallier ces deux points à pied : c’était du sable, pas de l’eau.
Aujourd’hui, les vestiges d’une ancienne batterie militaire se sont effondrés dans les flots et une digue artificielle a dû être construite pour protéger ce qu’il reste de plage. Un constat alarmant qui se répète sur les 15 km de côte de la commune, où la mer et les pluies menacent les habitations de 78 familles.
Des événements marquants
Les habitants du quartier de Sainte-Marie se souviennent encore avec effroi de ce matin d’août 2017, lorsqu’un pan de falaise s’est détaché, emportant une maison dans les flots. Fort heureusement, aucune victime n’a été à déplorer, mais l’inquiétude demeure. Malgré l’installation d’une barrière de sécurité, l’érosion se poursuit inexorablement, faisant reculer le littoral de sept à huit mètres en seulement cinq ans. Selon les estimations de Camille Dognon, maire adjoint chargé de l’urbanisme, une quinzaine de maisons supplémentaires pourraient être menacées d’ici une décennie.
Des déplacements de population inévitables
Face à l’urgence de la situation, certaines communes comme Petit-Bourg ont déjà entamé des procédures de déplacement de population. Une opération délicate qui nécessite de prendre en compte de nombreux paramètres :
- Des habitants souvent sans titre de propriété et aux moyens limités
- Un attachement profond à leur maison et à leurs souvenirs
- Des procédures administratives longues et complexes
Malgré ces difficultés, les élus locaux sont conscients de l’impérieuse nécessité d’agir. Comme le souligne Camille Élisabeth, maire de Pointe-Noire, sa commune est « prise en étau entre la mer et la montagne », avec 130 personnes à reloger dont dix en urgence absolue.
L’ampleur du défi à relever
Au total, ce sont 42 500 Guadeloupéens qui seraient directement exposés au risque d’érosion côtière, soit 10% de la population de l’archipel. Un chiffre qui illustre l’ampleur du défi à relever pour les pouvoirs publics. D’autant que 50% du parc de logement menacé dans les territoires d’outre-mer se trouve en Guadeloupe.
Parmi les zones les plus exposées figure l’agglomération de Pointe-à-Pitre. Son maire, Harry Durimel, évoque la nécessité de trouver « un modèle de développement immergé » pour sa ville, à l’image de Venise. Mais il reconnaît que le consensus politique autour de cette question est loin d’être acquis et que les moyens financiers font cruellement défaut.
Des solutions coûteuses et des financements insuffisants
Car déplacer des populations ou mettre en place des solutions fondées sur la nature a un coût. Jean-Claude Maes, maire de Capesterre-de-Marie-Galante, estime ainsi à 18 millions d’euros le budget nécessaire pour protéger le centre-bourg de sa commune grâce à un enrochement en brise-lame.
Si la nécessité de débloquer des fonds pour les communes touchées par l’érosion côtière semble faire consensus au plus haut niveau de l’État, leur mise à disposition effective reste incertaine. Comme l’a reconnu Fabrice Loher, désormais ex-ministre de la Mer, lors de sa récente visite en Guadeloupe :
En raison du débat budgétaire compliqué, ce n’est peut-être pas cette année qu’on aura un fonds de soutien dédié.
L’urgence d’une prise de conscience
Pendant ce temps, l’érosion poursuit son œuvre destructrice sur le littoral guadeloupéen. Les maires, en première ligne face à ce phénomène, alertent sur la nécessité d’une prise de conscience rapide et d’une mobilisation de tous les acteurs. Car au-delà des enjeux humains et matériels immédiats, c’est l’avenir même de certaines communes qui est en jeu.
Il est urgent d’engager une réflexion globale sur l’aménagement du territoire et la gestion des risques naturels dans un contexte de changement climatique. Cela passe par une meilleure connaissance des phénomènes en cours, la mise en place de stratégies d’adaptation innovantes et un soutien renforcé aux collectivités locales en première ligne. Un immense défi qui engage la responsabilité de tous, décideurs politiques, scientifiques, acteurs économiques et citoyens, pour préserver ce patrimoine naturel et humain unique que représente le littoral guadeloupéen.