Imaginez un écrivain qui, après des années de traversée du désert suite à des prises de position très controversées pendant la guerre, fait un retour fracassant sur la scène littéraire. C’est exactement ce qui est arrivé à Louis-Ferdinand Céline, l’ermite de Meudon, en ce 20 juin 1957, lorsque son nouveau roman “D’un château l’autre” est paru en librairie.
Le grand retour de Céline
Céline, connu pour son style unique et son chef d’œuvre Voyage au bout de la nuit, avait été mis au ban de la société littéraire après avoir publié des pamphlets antisémites dans les années 1930 et 40. Exilé au Danemark après la guerre, il était rentré en France en 1951, publiant discrètement quelques œuvres chez Gallimard, mais sans rencontrer le succès d’antan.
Mais avec D’un château l’autre, paru ce 20 juin 1957, Céline fait un retour tonitruant. Le roman, très autobiographique, revient sur ses années d’exil et sa traversée du désert. Malgré (ou peut-être grâce à) la sulfureuse réputation de l’auteur, le succès est au rendez-vous.
Un succès de librairie inattendu
Contre toute attente, D’un château l’autre se vend comme des petits pains. Les critiques, pourtant méfiants envers Céline, sont obligés de reconnaître la force de son style inimitable, mélange d’argot, de néologismes et de poésie crue.
Je me suis trompé de file en 1940 ; rien de plus. Mais c’est quand même con. J’ai voulu faire le malin.
– Louis-Ferdinand Céline, dans une interview à Arts en 1957
Dans les interviews qu’il accorde pour promouvoir son livre, Céline reconnaît à demi-mot s’être fourvoyé pendant la guerre. Mais il se présente surtout comme un écrivain incompris, un génie solitaire qui a payé cher son goût de la provocation.
Un écrivain à part
Car Céline reste Céline : provocateur, anticonformiste, inclassable. D’un château l’autre, s’il marque son grand retour, montre qu’il n’a rien perdu de sa verve et de son style unique, fait de phrases hachées, d’ellipses et d’inventions verbales.
Certains y voient le signe d’un génie littéraire qui transcende les polémiques et la morale. D’autres restent plus circonspects face à cet écrivain qui ne renie pas vraiment son passé trouble. Mais tous sont obligés de reconnaître l’événement : avec ce roman, Céline est bel et bien de retour sur le devant de la scène littéraire.
L’ermite de Meudon sort de son silence
Installé à Meudon dans son “château”, en réalité une maison assez modeste, Céline cultive son image d’ermite génial et incompris. Lui qui fuyait la presse à son retour du Danemark accorde maintenant des interviews, savourant sans doute ce retour inespéré en grâce.
À presque 63 ans, l’écrivain, médecin de formation, sort donc de son isolement pour livrer une œuvre qui démarre sur les chapeaux de roues. D’un château l’autre sera le premier volume d’une trilogie allemande où Céline reviendra, avec son style inimitable, sur les années sombres de l’Occupation et de l’épuration.
Le 20 juin 1957 marque donc le retour au premier plan d’un des plus grands écrivains français du XXe siècle, aussi fascinant que dérangeant. Un “génie” pour certains, un éternel provocateur pour d’autres, mais incontestablement un événement littéraire. L’ermite de Meudon est de retour, et le monde des lettres ne peut que suivre, avec passion ou répulsion, ce nouveau rebondissement dans la tumultueuse carrière de Louis-Ferdinand Céline.
