En février 2012, le monde du journalisme était en deuil. Marie Colvin, reporter américaine, et Rémi Ochlik, photographe français, étaient tués lors d’un bombardement en Syrie. Treize ans après ce drame, l’enquête française initialement ouverte pour meurtre connaît un tournant majeur. Selon des informations obtenues par l’AFP auprès du parquet national antiterroriste (Pnat), les investigations sont désormais étendues aux crimes contre l’humanité.
Un réquisitoire supplétif pour de nouveaux chefs d’accusation
Le 17 décembre dernier, le Pnat a pris la décision d’élargir l’information judiciaire en cours, jusque-là centrée sur des crimes de guerre. Les juges d’instruction sont maintenant saisis pour enquêter sur « de nouveaux faits qualifiés de crimes contre l’humanité », a précisé le parquet antiterroriste.
Parmi les chefs d’accusation figurent l’exécution d’un plan concerté visant une population civile, comprenant notamment « les journalistes, activistes et défenseurs des droits de l’Homme, dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique ». Sont également visés l’atteinte volontaire à la vie concernant les décès de Rémi Ochlik et Marie Colvin, la persécution d’un groupe – en l’occurrence quatre journalistes occidentaux et un traducteur syrien -, ainsi que d’autres actes inhumains perpétrés sur la reporter française Edith Bouvier, grièvement blessée lors de ce bombardement.
Une avancée « extrêmement novatrice » selon les avocats
Maître Matthieu Bagard, l’un des conseils d’Edith Bouvier, a salué cette évolution de l’enquête :
Ces récents développements sont extrêmement novateurs et ouvrent la voie à la caractérisation de crimes contre l’humanité dans un certain nombre de procédures concernant des journalistes opérant en zone de conflits armés.
– Matthieu Bagard, avocat d’Edith Bouvier
Avec sa consoeur Marie Dosé, il avait fait des observations à la juge d’instruction expliquant pourquoi un réquisitoire supplétif devait être pris par le Pnat. La magistrate a transmis au parquet antiterroriste, qui a suivi leurs arguments. « Il faut saluer la position du Pnat. A notre connaissance, on n’a pas de précédent en France. C’est une grande avancée pour les reporters de guerre », a souligné Marie Dosé.
Retour sur les événements tragiques de Homs
Le 21 février 2012, des journalistes occidentaux venaient d’entrer dans Homs, ville syrienne assiégée par les troupes de Bachar al-Assad. Ils s’étaient retrouvés dans une maison transformée en centre de presse improvisé du quartier de Bab Amr, bastion de la rébellion. Au petit matin du 22 février, réveillés par des détonations, ils avaient décidé de fuir leur abri, visé par des tirs du régime.
Marie Colvin et Rémi Ochlik, les deux premiers à franchir la porte, ont été tués instantanément par un obus de mortier. A l’intérieur, les autres ont été projetés par le souffle de l’explosion. Edith Bouvier, 31 ans à l’époque, a été grièvement blessée à la jambe.
Une procédure judiciaire de longue haleine
Très rapidement après les faits, dès mars 2012, le parquet de Paris avait ouvert une enquête pour meurtre et tentative de meurtre. Puis en octobre 2014, l’information judiciaire avait été une première fois élargie à des faits de crimes de guerre.
Près de neuf ans plus tard, cette nouvelle étape marque un tournant. Qualifier ces actes de crimes contre l’humanité traduit la volonté de la justice française de reconnaître la nature systématique et généralisée de la répression menée par le régime syrien contre les journalistes et défenseurs des droits de l’Homme.
Un signal fort, qui pourrait faire jurisprudence et renforcer la protection des reporters en zones de conflit. Mais aussi un long chemin, qui montre la complexité et les défis d’obtenir justice pour les victimes de crimes internationaux les plus graves. L’instruction se poursuit, avec l’espoir qu’un jour, les responsables de la mort de Marie Colvin, Rémi Ochlik et des blessures d’Edith Bouvier répondront de leurs actes devant un tribunal.