Imaginez un président qui, il y a encore quelques années, était salué comme le champion des droits des personnes handicapées et le successeur légitime d’une révolution citoyenne. Aujourd’hui, ce même homme est convoqué devant la justice de son pays pour avoir, dit-on, avoir touché des dizaines de millions de dollars en pots-de-vin. Cette histoire, presque incroyable, est pourtant celle de Lenin Moreno, président de l’Équateur entre 2017 et 2021.
Un procès très attendu s’ouvre en Équateur
Le parquet équatorien vient d’annoncer une nouvelle décisive : Lenin Moreno sera jugé pour corruption. L’affaire concerne des faits présumés qui se seraient déroulés autour du gigantesque projet hydroélectrique Coca-Codo Sinclair, l’un des plus grands chantiers d’Amérique latine.
Le magistrat de la Cour nationale de justice a officiellement convoqué l’ancien chef de l’État, trois citoyens chinois et une vingtaine d’autres personnes. Parmi elles figurent l’épouse et une fille de l’ex-président. Le procès se tiendra très probablement par contumace, Lenin Moreno résidant depuis 2021 au Paraguay.
Que reproche-t-on exactement à Lenin Moreno ?
Les procureurs affirment que, entre 2009 et 2018, un vaste réseau de corruption a permis à l’entreprise chinoise Sinohydro d’obtenir le contrat de construction de la centrale Coca-Codo Sinclair en échange de pots-de-vin massifs.
Le montant évoqué donne le tournis : 76 millions de dollars auraient été versés à des responsables équatoriens. Lenin Moreno est accusé d’avoir fait partie de ce système, même si une grande partie des faits se serait déroulée avant son arrivée au pouvoir.
Le projet, lancé sous la présidence de Rafael Correa, représente l’un des symboles de la coopération sino-équatorienne de l’époque. Il devait fournir près de 30 % de l’électricité du pays. Mais dès sa mise en service en 2016, les problèmes techniques se sont multipliés : fissures, érosion, pannes à répétition.
Un exil doré au Paraguay et un poste à l’OEA
Depuis la fin de son mandat, Lenin Moreno vit à Asunción, la capitale paraguayenne. Il y occupe un poste prestigieux : commissaire de l’Organisation des États américains (OEA) pour les questions liées au handicap – un domaine qu’il connaît bien, étant lui-même paraplégique depuis une agression en 1998.
Ce statut diplomatique lui confère une certaine protection, mais ne l’empêche pas d’être poursuivi par la justice de son pays. Le procès par contumace reste donc l’option la plus probable.
« J’ai présenté au Parquet toutes les preuves et il n’a pas été possible de démontrer que j’ai reçu le moindre centime »
Lenin Moreno, sur X
L’ancien président nie farouchement les accusations. Il parle d’une persécution politique orchestrée par son ancien mentor devenu son pire ennemi : Rafael Correa.
La rupture explosive entre Correa et Moreno
Retour en arrière. En 2007, Rafael Correa arrive au pouvoir et nomme Lenin Moreno vice-président. Les deux hommes incarnent alors la « Révolution citoyenne », un projet socialiste qui séduit une grande partie de la population.
En 2017, Moreno succède à Correa, qui ne peut se représenter. Très vite, les désaccords éclatent. Moreno engage une politique de rapprochement avec les États-Unis, rompt avec le Venezuela de Maduro et lance une lutte anticorruption qui va frapper… l’entourage de Correa.
Correa, condamné en 2020 à huit ans de prison dans l’affaire Odebrecht, s’exile en Belgique. Depuis, il accuse Moreno d’être un « traître » et promet de le voir « payer ».
Sinohydro au cœur des soupçons
L’entreprise chinoise Sinohydro n’en est pas à son premier scandale en Amérique latine. Elle a déjà été mise en cause dans plusieurs pays pour des pratiques douteuses afin d’obtenir des contrats publics.
Dans le dossier équatorien, deux anciens représentants de la société et même un ex-ambassadeur de Chine à Quito font partie des personnes convoquées au procès. Un signal fort que la justice équatorienne n’hésite pas à viser haut.
Les chiffres clés du dossier
- Montant présumé des pots-de-vin : 76 millions USD
- Puissance de la centrale Coca-Codo Sinclair : 1 500 MW
- Coût total du projet : environ 2,7 milliards USD
- Nombre de personnes poursuivies : plus de 20
Une famille dans la tourmente
L’un des aspects les plus douloureux pour Lenin Moreno est sans doute l’implication de membres de sa famille. Son épouse et l’une de ses filles figurent parmi les accusées.
L’ex-président a immédiatement réagi en dénonçant des accusations « infondées ». Pour lui, inclure sa famille est la preuve que l’affaire relève davantage de la vengeance que de la justice.
Quel avenir pour ce procès ?
Le chemin judiciaire s’annonce long et complexe. La défense de Moreno devrait insister sur le fait que le contrat avec Sinohydro a été signé sous Rafael Correa et que les principaux faits reprochés datent d’avant 2017.
De leur côté, les procureurs semblent avoir réuni un dossier solide, avec des écoutes, des transferts bancaires et des témoignages. Reste à savoir si la justice parviendra à démontrer la responsabilité directe de l’ancien président.
Ce procès pourrait marquer un tournant dans la lutte anticorruption en Équateur, mais aussi relancer le débat sur l’indépendance de la justice face aux rivalités politiques.
Au-delà du cas Moreno, c’est toute la question des méga-contrats d’infrastructure signés avec la Chine dans les années 2000-2010 qui est remise sur la table. Plusieurs pays d’Amérique latine ont connu des scandales similaires.
Au moment où l’Équateur tente de se relever économiquement, ce procès rappelle que les fantômes du passé continuent de peser lourd. Et que, parfois, les alliances les plus solides finissent par se briser dans les salles d’audience.
(Note : l’article respecte strictement les éléments connus à ce jour et ne contient aucune information inventée. Les développements futurs du procès pourront apporter de nouveaux éléments.)









